Auteur de dix-huit recueils de poèmes, de quatre romans, diariste, critique d’art et traducteur (espagnol, anglais), Robert Marteau (1925-2011) est à la tête d’une œuvre protéiforme où l’écriture est un exercice d’attention et d’assentiment, la résultante d’un dialogue constant avec le monde et ses images, avec sa réalité et sa transfiguration.
Né au cœur de la forêt de Chizé, en Poitou, dans la ferme de ses grands-parents paternels, Robert Marteau sera le témoin d’une société rurale aujourd’hui disparue, un univers âpre et dur où l’homme travaillait à la force de ses bras en respectant les saisons et les jours : « Nous vivions comme les paysans de Virgile. » Un monde, une organisation sociale, des hommes, qu’il évoquera dans Chevaux parmi les arbres, Le Jour qu’on a tué le cochon et ce vaste thrène qu’est Dans l’herbe. La terre, la forêt, ses mystères et ses superstitions, mais aussi les veillées, le patois et les rites religieux jouent un rôle essentiel dans sa formation, tout comme la mission qui lui fut confiée quand, enfant, il dut faire la lecture – lire et dire le monde – à sa grand-mère devenue aveugle. Le baccalauréat en poche, il rejoint Paris fin 1944 pour y poursuivre des études de langues, qu’il abandonnera vite pour devenir un piéton de la capitale, arpenter parcs et jardins tout en collaborant à la revue Esprit, à qui il donne des notes critiques, mais aussi des chroniques sur le rugby et la tauromachie. C’est au Seuil qu’il publie ses premiers recueils de poésie : Royaume (1962) et Travaux sur terre (1966), soutenus par Michel Deguy.
Ne se reconnaissant ni dans le surréalisme, ni dans l’existentialisme, ni dans la poésie de la Résistance, il fait œuvre à partir de son histoire et du monde de ses origines. Le lieu natal devient lieu mental. Transfigurant la réalité, comme Paul Claudel, à des fins littéraires, il en montre la beauté. Il s’agit de représenter le monde, de le décrire mais en le posant à distance afin de dégager le merveilleux d’une présence. Revendiquant l’idée d’un classicisme créatif, sa poésie a recours au lyrisme dans la continuité de la tradition.
Poète pour qui la langue ne cessera d’être un objet de désir, il ira chercher au Québec ce charme de la langue française en perdition dans notre pays. Il y séjournera de 1972 à 1984, soutenant la souveraineté du Québec, prenant la nationalité canadienne et y rencontrant l’amour en la personne de Neige, qui deviendra sa compagne. Un long séjour qu’il évoquera dans Mont-Royal, son journal tenu sur place (1981) et dans Fleuve sans fin (1986).
De retour en France, il ne cessera de ciseler, dans ses sonnets – il en écrira plus de quatre mille – sa vision singulière du monde. Une poésie en rapport charnel avec l’univers végétal et animal, et comme enluminée par le chant des oiseaux. C’est que Robert Marteau écrit toujours sur le motif, nommant avec une minutie amoureuse un monde où tout est signe d’une création toujours en mouvement. Après Forestières (1990), c’est sous le titre générique de Liturgie (1992) que paraissent désormais ses livres. Liturgie, pour dire la splendeur gratuite de la beauté du monde, son harmonie divine. Recevoir et restituer, dégager les différents plans de la réalité, révéler le sens caché sous le sens manifeste, telle est sa tâche, qui est aussi celle des peintres qu’il aime – Huit peintres, Le Louvre entrouvert… – ceux qui donnent à voir ce qui est dissimulé et qui, paradoxalement, ne figure pas comme une évidence dans le tableau. Une œuvre qui, sous sa spiritualité assumée, est avant tout un traité du regard et une leçon d’admiration.
Richard Blin
Robert Marteau, de Jean-Yves Casanova
Léo Scheer, 300 pages, 20 €
Poésie Mesure du ciel et de la terre
janvier 2020 | Le Matricule des Anges n°209
| par
Richard Blin
Une biographie de Robert Marteau, poète du regard qui voyait ce que nous ne voyons plus. Pour faire connaître l’homme et donner à son œuvre la place qui lui revient.
Un livre
Mesure du ciel et de la terre
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°209
, janvier 2020.