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Domaine français Apothéose en forme d’hypothèses

juin 2020 | Le Matricule des Anges n°214 | par Éric Dussert

D’une grande richesse, les nouvelles vives et parfois cruelles d’Anne Serre la placent désormais parmi les plus fines plumes de notre époque…

Au cœur d’un été tout en or

Ne tournons pas autour du pot : c’est la première fois que nous soulignons en ces pages l’importance d’un livre qui vient d’obtenir le prix Goncourt de la nouvelle. Simplement, il serait inélégant de ne pas signaler que ce jury, le plus souvent pataud, vient de manifester un sens littéraire auquel il ne nous a pas habitués. Dans le même temps, on est forcé de remarquer qu’il n’avait probablement pas d’autre choix que de se laisser embarquer Au cœur d’un été tout en or tant les qualités de la prose d’Anne Serre y sont frappantes.
Si ce livre paraît porter l’œuvre d’Anne Serre à un point zénithal, il fonctionne comme une boîte à malice fictionnelle montée sur une horlogerie stylistique admirable. Ainsi que Félix Fénéon portait à son état le plus achevé la nouvelle en trois lignes, Anne Serre compose des nouvelles en trois pages qui appellent elles aussi ce qui ressemble aux haïkus fictionnels dont Max Aub et quelques autres ont tenté déjà la forge subtile et ramassée.
Rien d’inconnu dans les thèmes abordés par la nouvelliste : de l’amour et des remords, des amis de tous sexes, des sœurs, des mères et des pères, leur maison aimée, des anecdotes biographiques, des tempéraments et des songes, des disparitions et des souvenirs. Or, comme Anne Serre le déclare justement, « Nous accordons beaucoup d’importance à toutes ces choses ». Certaines sont ténues ou fugaces et les personnages d’Anne Serre ont l’impression comme nous de les avoir seulement rêvées. Ces choses guident pourtant nos vies : ce sont ces instants de doute, ces idées et ces sensations qui font irruption, des étranges cristallisations de la mémoire… Anne Serre profite de ce matériau composite pour se construire des « soi ». « N’est-ce pas merveilleux d’être unique ? »
Jouant au bonneteau avec une autobiographie qui pourrait être la sienne, elle a le chic pour nous entraîner sans heurt dans une intimité mentale, pour raconter une rupture vengeresse, pour raconter comment la mort de Beckett sauve une maîtresse de l’affreux dîner combiné entre son amant et l’épouse de ce dernier. Le polyèdre d’une personnalité – illustré par la découverte de l’autre visage d’un homme placé dans une posture encore inaperçue – surgit partout, plaçant l’identité et le jeu social au cœur du livre, et laissant la sensation d’avoir soi-même connu, sans l’exprimer toujours, ces flottements où la vie prend un virage – ou ne le prend pas. Au fil des pages, on se surprend à penser aux livres de José Saramago qui savait mieux qu’un autre ne pas décaler la réalité pour atteindre néanmoins une forte intensité dans l’étrangeté. Et c’est là où la tonalité de la chronique, telle qu’on peut la sentir dans « Une petite erreur », renforce cette comparaison avec le Nobel portugais. Chez Anne Serre, qui résiste à la littérature explicative, « la vie ne donne pas d’explication ». Jaillissent les hypothèses en revanche.
Depuis 1978, Anne Serre tisse une œuvre Au bord de toute chose, comme la positionnait son tout premier recueil. Elle se révèle plus aiguisée que jamais. Notamment parce que règne dans nombre de ces nouvelles « une certaine cruauté », de ces méchancetés ironiques qu’on croirait pensées par une romancière anglaise. Convoqué, Sherlock Holmes lui-même trouve que « les jeunes filles sont une drôle d’engeance ». Et on ne dira pas le contraire des femmes de lettres qui rêvent d’assassiner au fusil tel éditeur helvétique parce qu’il n’a pas daigné répondre à un envoi… La vie littéraire autorise tous les jeux et Anne Serre démontre qu’elle est passée maîtresse en jongleries fascinantes. Pour dire les choses simplement, elle n’a peut-être jamais écrit un livre aussi fort et beau, digne d’être relu sans cesse, avec la délicieuse inquiétude de découvrir un jour tel trait de soi-même en ses pages…

Éric Dussert

Au cœur d’un été tout en or,
d’Anne Serre
Mercure de France, 144 pages, 14,80

Apothéose en forme d’hypothèses Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°214 , juin 2020.
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