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Poésie Louvoiements sismiques

juin 2020 | Le Matricule des Anges n°214 | par Richard Blin

Derrière la nudité d’un abord abrupt, le premier livre d’Hélène Fresnel conjugue la voix de l’absence à la langue désirante de l’amour.

Une terre où trembler

Il pleut beaucoup au début d’Une terre où trembler. Pluies « recroquevillées » ou pluie « sauvage », ce qui s’épanche ainsi semble annoncer douleur, souffrance, perte, pleurs, et pourtant plus on lit, plus c’est une affirmation qui se dégage, l’impression d’une énergie en expansion. « La terre nage / Les eaux ont fait naufrage ». Le Je féminin qui s’exprime – « Je suis ce / Qui s‘efface / Hors de toi » – est en proie au doux-amer d’un amour qui oscille entre doute, extase et contemplation. Plus que l’état d’amour, c’est sa nature, sa violence, son principe cosmique que ce Je capture dans les filets d’une écriture défamiliarisante et antithétique. Un Je dont la devise pourrait être « Souffrir non souffrir » – qui est celle dont Maurice Scève encadre sa Délie – à en juger par les titres donnés à chacune des trois parties qui composent Une terre où trembler : « Rejoindre non rejoindre » ; « Rupture non rupture » ; « Franchir non s’affranchir ».
Ils disent ces titres, l’ambiguïté des affres de la souffrance, la danse hésitation des élans et des reculs, l’épreuve des contradictions radicales. À l’image de poèmes dans lesquels une tension sans résolution et sans repos ne cesse de le disputer à la force d’une parole cherchant à rejoindre son impératif primitif. Poèmes où les contraires se touchent, s’empêtrent, distillent un trouble profond ponctué de sensations-visions de bonheur-effroi. « Seul dandy et bandit / Un mur : le Mur-de-devant / Crapouillot vaniteux / Aux pieds d’éternuement / Détache en me scrutant les traits de son visage / Exagère or et nombre / De ses fissures / D’icebergs gercés / Et les tend au nulle-part comme des bouées de sauvetage ».
Poèmes qui disent comment moi et choses prennent une autre signification, comment le réel se réarticule autour de la force métamorphosante d’un regard. Regard d’une femme amoureuse qui communique aux choses sa propre sensibilité, qui voit dans le réel comme une extension de sa propre chair. Poèmes qui montrent ce que devient la réalité soumise à cette distorsion, ce qui s’y déploie quand on y projette l’impossibilité de dire le Tout de l’amour, et quand cet impossible à dire insiste et cherche à se frayer un chemin dans le visible. « Tu n’es pas revenu et ce soir / Le lieu du rendez-vous brûle sous le vent noir / Royaume – Cible du ciel où s’engage une flamme / Royaume – Énoncé de la nuit vécue et illusoire / Je te parle d’à travers la fore / Je te parle d’à travers la fore // L’ombre de ton visage maintient le territoire / Je me tourne vers lui Royaume et lui dit : / - Je t’engage / Étends les terres mongoles et retient notre histoire / Avant une nouvelle heure / Avant un nouveau leurre / Il faut jouer la victoire // Mon amour je te parle à travers l’amphore / Et le sable du temps qui mange ton image ».
C’est au bouleversant de cette réalité, avec tout ce qu’elle contient de subjectivité, de doute et d’invention, qu’Hélène Fresnel donne corps. Une réalité qu’elle nous fait ressentir jusqu’au cœur de ce qui la constitue, c’est-à-dire loin de son apparence illustrative ou euclidienne. Une réalité travaillée, déformée, fantasmée par le manque, le désir, la dissonance. « Œil sous la terre de France / Un jour dévissera / Chaque arbre où tu n’es pas / Jusqu’au mont Ararat // Il dévisagera / Le recul de tes pas / Aux racines du calcul / Aimera et soufflera ». À travers les distances, les résistances, les épreuves, le poème scande la façon dont ce qui affecte prend corps dans la chair, la façon dont il modifie la topologie des lieux, impose son imprévisibilité. « Pâleur vive / Les monts sont intérieurs / La corde ensoleillée saigne / L’espoir caresse et pense / Je m’en remets à l’encre ».
Il s’agit de rendre sensible la genèse d’un autre ordre qu’entraîne un état sur-intense de césure. De le dire jusqu’au revers de l’ordre institué des perceptions connues, dans l’immédiateté de ce qui se met en place, et en ne censurant rien. En acceptant que les mots perdent leur signifiance pour devenir sève, saveur, sécrétion sauvage, suite discontinue d’instants où phénomènes et sensations engendrent cette vérité de la perception qui fait poème. Parce qu’il existe quelque part un regard pour les lire dans un autre présent. C’est dire qu’Une terre où trembler n’est qu’une longue lettre d’amour à l’Absent, une lettre qui dit comment le dehors pénètre le dedans, comment la joie nourrie de douleur de l’amour trouve à être dans la force désentravante de la poésie. « Contre les cris où tout se perd / Je dresse l’écrit du rivage / Où / Chante / Encore // Ce qui protège et ce qui dure ».

Richard Blin

Une terre où trembler, d’Hélène Fresnel
Préface de Zéno Bianu, éditions de Corlevour, 112 pages, 16

Louvoiements sismiques Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°214 , juin 2020.
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