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Théâtre L’expérience du corps

septembre 2020 | Le Matricule des Anges n°216 | par Patrick Gay Bellile

Howard Barker dynamite les conventions, s’attaque aux murailles érigées par la morale.

Œuvres choisies (vol. 11) : Loth et son Dieu ; Marcella de Ulloa ou la dernière toile de Vélasquez

Depuis 2001, les éditions Théâtrales publient régulièrement les œuvres choisies de Howard Barker. Nous en sommes au volume 11. Et il ne s’agit que du domaine théâtral. Car l’homme produit aussi de la poésie, des aphorismes et des essais théoriques. Né en 1946, il est considéré comme l’un des plus importants dramaturges anglais, mais son œuvre difficile et déconcertante a mis du temps à passer la frontière et à prendre sa place sur les scènes françaises. C’est que son théâtre, qu’il baptise lui-même « théâtre de la catastrophe », est troublant : il n’est pas là pour donner des leçons, encore moins pour produire de la réalité. Comme il le dit lui-même dans une interview donnée en 2009 au journal La Terrasse, « ce théâtre vise à déstabiliser l’attitude morale du public ». Son propos est plutôt de pulvériser les consensus, d’attaquer les évidences, d’aller gratter du côté du désir et de la provocation pour retrouver l’humain. Il n’hésite pas à revisiter les grands auteurs, les grandes œuvres, de Tchekhov à Shakespeare, pour donner une autre vision des choses, à base de questions posées plutôt que réponses assénées. Et surtout, pas de message : « Depuis Brecht, même auparavant – voyez Bernard Shaw ou le théâtre médiéval – une certaine tendance dramaturgique a visé à éduquer le public en matière de conduite morale. Dans les années 50 à 70, en Angleterre, ce trait s’est accentué à un point critique : il n’était plus question que de dénoncer (le capitalisme, l’État…). La décadence était si profonde que le public demandait quel était le message avant même que le rideau soit retombé. Les gens, intrigués, s’interrogeaient l’un l’autre sur le message – comme s’il devait être inclus dans le prix du billet. »
Avec Loth et son Dieu, c’est la Bible que Barker relit. Et plus précisément la destruction de Sodome. Loth et sa femme, sauvés par l’ange, quittent la ville avec l’interdiction de se retourner sous peine de finir en statue de sel. La femme de Loth se retourne. Pourquoi ? Voilà la question qui intéresse Barker. Et sa réponse tient dans l’attitude du couple : offenser Dieu, lui désobéir, avoir un regard attendri sur un monde dans lequel ils sont amoureux, alors qu’elle couche régulièrement avec d’autres hommes, lui le sachant et l’acceptant. Un monde abject pour l’ange, qui fera d’ailleurs les frais du pouvoir de séduction de la femme de Loth. Mais ce monde est le nôtre. Le sexe, la transgression, le refus des bonnes conduites imposées, Barker s’attaque aux murailles érigées par la morale. Mais ses tragédies ne manquent pas d’humour et le texte, très poétique et très fluide, joue avec les sous-entendus et les manières de dire. La phrase tourne, s’enroule et se déroule, semblant s’amuser elle-même de l’absence de ponctuation.
Le seond texte veut répondre à l’énigme posée par le célèbre tableau peint par Vélasquez, Les Ménines : l’artiste s’est représenté peignant une toile, mais nous ne voyons pas ce qu’elle représente. La tradition opte pour que ce soit le couple royal dont le spectateur aperçoit d’ailleurs le reflet dans un miroir placé au fond de la pièce. Mais Barker a une autre proposition. Et il met en scène Marcella de Ulloa, une belle et érudite sexagénaire, que Vélasquez est le seul à ne pas apprécier. Jusqu’à ce que le roi lui demande de faire son portrait, nue : « au terme de sa vie/ n’a-t-il pas l’obligation/ l’obligation envers lui-même/ et par conséquent encore plus incontournable/ d’explorer/ comme quelque voyageur solitaire/ ces endroits que/ pendant toutes ses années d’ambition paralysante/ il n’a pas osé envisager/ dont il n’a peut-être pas même/ admis l’existence ? » Et le peintre va éprouver un désir charnel pour la vieille femme dévêtue. Et l’auteur de poser de nouvelles questions : qu’est-ce qu’un désir sexuel ? Peut-on séparer le désir et la beauté et quelles en seront les conséquences ? Quel droit possède un modèle sur son portrait ? Entre l’enfant de 5 ans, l’infante, montrée au centre de la toile, et l’idée de la vieille femme nue, cachée mais qui apparaît comme son pendant, Barker en appelle encore au désir qui subvertit la morale, les conventions sociales et les tabous.
L’écriture, là encore, participe du décalage à l’œuvre dans les textes de Barker : de nombreux slashs découpent et rythment le texte remplaçant la ponctuation, tandis que des didascalies accompagnent quasiment chaque réplique, installant comme le récit de ce qui se passe à côté de ce qui se dit. Deux textes tout à la fois superbes et excitants.

Patrick Gay-Bellile

Howard Barker Œuvres choisies, vol. 11
Loth et son Dieu,
traduit de l’anglais par Sarah Hirschmuller
et Marcella de Ulloa ou la Dernière Toile de Vélasquez,
traduit de l’anglais par Pascale Drouet
Éditions Théâtrales, 120 pages, 14,90

L’expérience du corps Par Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°216 , septembre 2020.
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