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Domaine français Les mots et la chose

octobre 2020 | Le Matricule des Anges n°217 | par Guillaume Contré

Grégory Le Floch embarque son lecteur dans un roman d’aventures folles qui s’éparpille sans jamais se perdre en chemin.

De parcourir le monde et d’y rôder

Tout va très vite dans la vie du personnage de ce roman, à partir du moment où, par hasard, dans un quartier quelconque de Paris, « une chose au sol a attiré son regard », qui ressemble « à une sorte de pièce de monnaie, molle et irrégulière, ou plutôt un petit organe de souris, comme un estomac ou une rate ». Cette chose indéfinie et indéfinissable – « un objet remarquable que je devais de toute urgence restituer à l’humanité », le narrateur va s’en emparer aussi sec pour ne plus (littéralement) la lâcher. Elle agira dès lors comme un véritable sauf-conduit qui permettra à l’aventure – folle, intense – d’avoir lieu. Et puisqu’il est question, comme l’affirme le titre, « de parcourir le monde et d’y roder », on ne va pas s’en priver.
Notre héros, comme s’il avait reçu une injonction divine, comme si la chose lui envoyait des messages subliminaux (que son désir d’aventure invente peut-être), va se laisser mener par le bout du nez d’un côté à l’autre du monde (Autriche, Israël, New York), guidé par les désidératas de cette étrange chose que tous ceux qu’il va croiser sur son chemin voudront interpréter. Une chose molle, fuyante et pourtant concrète qui est là, toujours, au creux de sa main, comme un stigmate qui bientôt se dédoublera.
Il prend le train pour Vienne et rencontre une femme qui, lasse de son bébé pleurnichard, le jette par la fenêtre. Une fois dans la capitale autrichienne, le voici embarqué dans une curieuse manifestation qui ne cesse de grossir jusqu’à ce qu’il se retrouve « propulsé parmi les nuages » et qu’il rencontre « une sorte d’angelot rose et doré », lequel, en voyant la chose, s’écrit « mais c’est laid ! » et laisse retomber le narrateur sur la terre ferme, comme s’il n’était pas digne des nuées. Il rencontre aussi deux femmes nommées Shloma, la grande et la petite, puis un boucher juif obsédé par la montée du parti d’extrême droite FPÖ qui déclare que la chose est en réalité une truffe et qu’elle servira à parfumer un plat de Cailles (ça ne marche pas, le résultat est infect).
Les interprétations douteuses et extravagantes sur la nature de cette chose bien mystérieuse ne cessent de se multiplier et sont un des moteurs comiques de ce livre enlevé qui, dans sa frénésie narrative, n’est pas sans rappeler certains romans de Copi. On apprend bientôt que la chose est en réalité l’étron fossilisé de Franz Liszt, jalousement conservé par une admiratrice inconditionnelle du compositeur (« la chose la plus harmonieuse, la plus équilibrée, la mieux proportionnée qu’il m’ait été donné de voir », s’écrira un « écrivaillon autrichien de l’époque » en le voyant) ; un autre prétend que ce serait un « fétiche africain très puissant », qu’il faut « manipuler avec précaution » ; un « gastro-entérologue à la retraite » parle, lui, « d’un calcul biliaire de taille conséquente »  ; un autre encore évoque à son propos une ressemblance troublante avec les « cendres de (s)on grand-père, compactées en un bloc », et ne manquera pas, bien entendu, celui qui y verra un « OVNI observé au Canada en 98 ».
En attendant, le narrateur poursuit sa vie de « vigile sans diplôme ». Mais, forcé de fuir quelque mafieux ayant décrété que la chose était un diamant, il va s’envoler pour New York, ville dont il ne tardera pas à détester « l’abominable influence » et dans laquelle il deviendra un « monstre » de cirque, « le clou du spectacle », car la chose a aussi le don de prédire l’avenir.
On pourrait donner l’impression au lecteur de cet article d’être en train de raconter tout le livre, mais rien de plus faux : tout va si vite dans ce roman, écrit dans une prose qui n’en prend pas moins le temps d’être élégante et subtilement décalée, qu’en réalité on n’a fait qu’effleurer la surface. D’autant que Grégory Le Floch a régulièrement recours à des notes de bas de page, lesquelles, plutôt que ralentir un peu l’action ou lui donner une certaine perspective, ne font que compliquer encore l’affaire. Un jeu qu’il pousse assez loin, puisque ces notes finissent par « coloniser » le texte principal ou se confondre avec celui-ci, cassant ainsi toute hiérarchie dans le texte. Elles sont aussi une manière, à l’instar de tout le roman, de construire une métaphore de la multiplicité du monde, ce chaos que l’on ne saurait embrasser en entier. Le Floch en prend de généreux morceaux et les agite dans son milk-shake. C’est peut-être tout simplement ça, la chose : la meilleure des excuses pour écrire un livre qui s’autoriserait enfin toutes les fantaisies.

Guillaume Contré

De parcourir le monde et d’y rôder,
de Grégory Le Floch
Christian Bourgois, 252 pages, 18

Les mots et la chose Par Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°217 , octobre 2020.
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