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Traduction Clément Baude

octobre 2020 | Le Matricule des Anges n°217

Apeirogon de Colum McCann

On savait, chez Belfond, ma prédilection pour la littérature imprégnée d’Histoire. J’en redemandais régulièrement. Et ce qui devait arriver arriva, en l’occurrence un beau jour de 2019, lorsqu’on me proposa de traduire le prochain roman de Colum McCann… Je connaissais l’auteur, bien entendu, mais plus de nom qu’autre chose. Ah bon ? Moi ? Mais vous êtes sûrs que… ? Vraiment ? Tu verras, me dit-on, c’est impressionnant… et spécial. Israël et la Palestine. En effet, de ce point de vue-là je n’ai pas été déçu, puisque Apeirogon est fondamentalement une plongée totale, intime, dans la guerre, à travers la figure de ces deux pères, l’un israélien, l’autre palestinien, qui doivent tous deux faire le deuil de leur fille, assassinées l’une et l’autre dans des conditions infâmes. Dès la première lecture, j’ai été pris par la cadence du découpage très particulier qu’impose McCann, ces 1001 chapitres, comme autant de nuits, qui font tantôt deux lignes, tantôt plusieurs pages, me rappelant au passage, mais dans un genre totalement différent, un texte que j’avais beaucoup aimé traduire, Zéroville, de Steve Erickson, chez Actes Sud.
Tout l’enjeu de la traduction d’Apeirogon était là, me semble-t-il, intimement lié au titre lui-même (qui est une curiosité à lui tout seul, puisque le terme équivalent n’existe pas officiellement en français), qui désigne une figure géométrique disposant d’un nombre infini de côtés, car tous ces fragments, en apparence éloignés les uns des autres (ici des considérations sur les oiseaux migrateurs, là le récit de la mort des fillettes, plus loin une évocation de Borges, des photos…), finissent par se répondre, se parler à distance, avec parfois de très légères variations selon leur place dans le texte.
Difficile à traduire, alors ? C’est invariablement la deuxième question qu’on me pose quand je dis ce que je fais dans la vie – la première étant : « Combien de temps faut-il pour traduire un livre ?… Ah bon, c’est si long que ça ? » La difficulté se mesure-t-elle au nombre de cheveux que je m’arrache en faisant mes trois pages par jour ? Au peu de liberté que tel ou tel texte me laisse pour m’en débrouiller, me sortir des pièges, des impasses, si besoin par une pirouette ? Si c’est le cas, alors il est évident que j’ai rencontré des livres beaucoup plus durs en affaires. Sans doute est-ce lié à la gravité du sujet, mais de manière générale McCann opte pour la sobriété, en particulier dès qu’il s’agit des descriptions factuelles, des anecdotes, des rappels historiques, laissant aux dialogues et aux passages relatifs à la biographe des deux personnages principaux, notamment, le soin d’être plus strictement « littéraires », plus abstraits, plus personnels. J’y reviens, les allers et retours constants, subtils, qui jalonnent le roman m’ont donné pas mal de fil à retordre : il ne fallait pas se tromper d’une virgule, d’un mot, d’autant plus que le texte original évoluait encore au fur et à mesure de la traduction – phénomène qui ne nous facilite certes pas l’existence mais qui tend à devenir monnaie courante en raison des délais de publication de plus en plus serrés.
Pour finir, avec ce texte je n’ai pas échappé à ce qui reste chez moi, et j’imagine chez d’autres sans doute, un motif d’inquiétude récurrent, à savoir l’erreur technique. En effet, dans cette vaste constellation qu’est Apeirogon, il est bien sûr question d’Histoire, de géographie, mais aussi (entre autres) d’ornithologie, de balistique, de fauconnerie, d’astronomie, d’algèbre, de funambulisme, de creusement des tunnels – bref autant de sujets pour lesquels je suis bien obligé de confesser une ignorance plus ou moins crasse. Et vous avez beau faire des recherches, vous renseigner, confirmer, recouper, interroger, la peur est toujours là, d’avoir écrit littéralement n’importe quoi. Appelons ça l’angoisse du traducteur au moment de décrire une moissonneuse-batteuse.

* Clément Baude a traduit entre autres Viet Thanh Nguyen, Yiyun Li, Irvin Yalom, Jesse Ball. Apeirogon vient de paraître aux éditions Belfond (510 pages, 23 )

Clément Baude
Le Matricule des Anges n°217 , octobre 2020.
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