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Domaine français Du côté des vivants

octobre 2020 | Le Matricule des Anges n°217 | par Anthony Dufraisse

Dans une méditation sur la dépression, Emmanuel Carrère impressionne par son art d’illuminer la bile.

Yoga  : trompeur, le titre du nouveau livre d’Emmanuel Carrère. Quatre lettres d’une apparente torpeur mais, derrière, quatre cents pages de troubles et de terreurs. Et si terribles soient-elles, elles font entendre parfois, comme par miracle, la tonalité du bonheur. Ce texte presque essentiellement autobiographique n’est pas celui que l’auteur pensait d’abord écrire, en 2015. À l’origine, avant qu’on ne le diagnostique bipolaire de type 2, avant la noire déferlante dépressive, il avait en tête tout autre chose : « Écrire sur le ton de la conversation familière, un petit livre pas prétentieux, un petit livre souriant et subtil » sur sa longue pratique du yoga. Témoigner, donc, depuis « sa bancale expérience » sur les vertus de cette discipline et d’autres – la méditation, le taï-chi… – qui lui sont associées. Tel qu’il l’imaginait au départ, ce livre se serait intitulé L’Expiration, tant le souffle est au cœur, au principe même de toutes les activités qui entendent agir sur la relation corps-esprit. Seulement voilà, une fois de plus se confirme pour Carrère que « chaque livre impose ses règles, qu’on ne fixe pas à l’avance mais découvre à l’usage ». Car l’auteur de D’autres vies que la mienne va dévisser sous l’effet d’une « débâcle » généralisée. Une rechute dramatique après une accalmie de dix ans. Il pensait avoir dompté son mental mais quelque chose de carnivore à l’intérieur va le dévorer. Carrère (re)devient un loup pour Carrère, mordu par « les chiens noirs » de la détresse psychique.
Le sympathique projet initial de l’auteur bascule donc petit à petit, et nous avec, qui quittons le stage de méditation dans une ferme isolée du Morvan sur lequel s’ouvre le livre, pour, en un moment de folie furieuse, une hospitalisation urgente à Sainte-Anne. C’est comme de passer de l’univers apaisant d’un Hokusai à l’atmosphère tourmentée d’un Egon Schiele. Pour Carrère il n’est alors plus question de donner une juste représentation de la pratique du yoga, « des singeries » pour beaucoup, mais de se tirer d’affaire, d’échapper à ses pulsions suicidaires. Fasciné par ce théâtre de la cruauté intime, le lecteur assiste à la progressive descente aux enfers de l’auteur qui en fait la matière même de son entreprise littéraire. « Je suis un homme narcissique, instable, encombré par l’obsession d’être un grand écrivain. Mais c’est mon lot, c’est mon bagage, il faut travailler avec le matériel existant et c’est dans la peau de ce bonhomme-là que je dois faire la traversée », écrit Carrère, lucide sur lui-même. Et cette expression de la lucidité, cette sincérité rarement flatteuse dans le propos, c’est la force motrice de cette traversée à laquelle nous assistons, nous lecteurs, régulièrement interpellés par l’écrivain, dont le ton sait par moments (aux pires parfois !) se faire goguenard, ricaneur voire déconnant. Des traits d’ironie comme des flashs au fond du trou noir… Cet homme se débat avec sa « puissante tendance à l’autodestruction » et doit aussi affronter le chaos du monde, quand les attentats de Charlie Hebdo font irruption dans sa vie personnelle avec l’assassinat d’un proche de la rédaction, ou encore à travers un séjour sur l’île grecque de Leros au plus près des migrants, ou à l’occasion d’un improbable reportage en Irak… Un greffier, cet homme-là. Mieux : un sismographe qui enregistre les tremblements de son âme et ceux de cette histoire en train de se faire qu’on appelle l’actualité. Carrère devient ainsi le lointain descendant d’un Montaigne méditant les enseignements de Bouddha tout en regardant en face « cet abîme au creux de la vie qu’on appelle dépression ou folie ».
Et le bonheur dans tout ça, à jamais perdu ? Non, il est là, comme une décharge électrique qui, malgré une personnalité toxique et en dépit de la violence de l’époque, tire Carrère du côté des vivants ; il est là, dans les amours secrètes, les poèmes murmurés, les amitiés indéfectibles, dont celle de l’éditeur Paul Otchakovsky-Laurens, qui n’aura pas eu le temps de lire ce livre. Ce bonheur fragile, Carrère y tient comme on tient une posture difficile au yoga. « Cela peut être un bon livre, un livre nécessaire, celui qui ferait tenir ensemble ces deux pôles : une longue aspiration à l’unité, à la lumière, à l’empathie, et la puissante attraction opposée de la division, de l’enfermement en soi, du désespoir ». Plus qu’un bon livre, un livre important. Non : un grand livre.

Anthony Dufraisse

Yoga
Emmanuel Carrère
P.O.L, 397 pages, 22

Du côté des vivants Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°217 , octobre 2020.
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