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Domaine français Bienheureuses castrations

octobre 2020 | Le Matricule des Anges n°217 | par Gilles Magniont

Il vaut la peine de lire Le Petit Polémiste, roman de très imparfaite anticipation, mais d’une troublante profondeur.

Le Petit Polémiste

À l’entendre sur les ondes, on tend l’oreille : débrouillant la raison d’être de son roman, Ilan Duran Cohen confesse la peur et la tristesse qui l’accompagne désormais en société, cerné qu’il se sent par ces vertus cardinales – engagement, solidarité, responsabilité – avec quoi on ne rigole plus, et tant pis pour celui qui hésite ou déconne, et dont l’enfance n’a pas encore rendu gorge. Ainsi Alain Conlang, héros-narrateur, dans la France de très bientôt, du Petit polémiste  : provocateur assermenté, il est censé, dans ses chroniques cathodiques, « offenser dans la limite du raisonnable »  ; jusqu’au dîner parisien où, vaguement ivre, il passe les bornes : une saillie de comptoir sur « les bonnes femmes et leur rapport au pouvoir », et voilà que s’enchaînent plaintes des convives et délations diverses, licenciement, préparatifs du procès, crédit social qui dégringole à la vitesse d’un dissident chinois.
Notre supplicié cherche ainsi une liberté qui se dérobe. Car plus rien ici qui échappe à la conscientisation et à la surveillance, du « recyclage vertueux » à la prohibition, des toilettes hybrides à la « journée annuelle de l’Autre » en passant par le ministère de la Responsabilité Carbone… Cela fait beaucoup, sans doute trop pour le lecteur, désappointé que ce futur proche ne soit pas plus circonscrit, et que la satire survole tant de matériaux. Jusqu’à perdre sa vraisemblance : sur quelle base faudrait-il par exemple imaginer que les musulmans se trouvent bientôt regroupés dans un ghetto marseillais, ou les juifs exilés par la faute d’un antisémitisme « écolo-gaucho »  ? Admettons toutefois qu’un roman n’est pas une démonstration, et qu’il ne s’agit pas d’en pointer les incohérences – que celui-ci ne soit pas tout à fait maîtrisé ne joue d’ailleurs pas contre lui, puisqu’il s’attaque à une société du contrôle. Et gardons en tête que ce n’est pas Philippe Muray qui énonce ce nouveau monde, nullement un brillant railleur, mais un « petit polémiste » : approximatif, indécis, plaintif, Conlag ne vaut pas par ses punchlines, mais par son anxiété, affrontée aux nouvelles formes du Pouvoir.
Parmi celles-là, il y a Benjamin, son grand frère antagonique qui donne au livre ses meilleurs moments. Et notamment une scène extraordinaire, gore et bouffonne, où, dans une ambiance de grand-messe, derrière la vitre qui sépare la salle des fêtes du bloc opératoire, entre les verres de champagne et les robes de communiantes, « les convives applaudissent à tout rompre » : c’est que Benjamin, par la grâce de la chirurgie, vient de changer de sexe. Le fringant homme à femmes devient femme, le champion de natation se transforme en icône de la transition : c’est dire que le changement n’est peut-être pas si grand, et qu’il s’agit peut-être d’un cran passé dans l’exercice de l’autorité, désormais indiscutable. On se demande alors si le romancier avait prévu, dans son cahier des charges, de nouer à ce point la question du despotisme et celle du sexe. Et à quel degré d’ironie il faut goûter certaines scènes, comme celle où, sous les fenêtres du narrateur, des manifestant.e.s exigent sa condamnation en chantant à l’unisson Femmes je vous aime. Ou encore la valeur, en définitive, qu’il faut prêter au propos, « lancé un peu bêtement  », sur le « rapport au pouvoir ». Toujours est-il qu’on referme le roman en ayant la sensation d’avoir frôlé son centre brûlant.

Gilles Magniont

Le Petit Polémiste
Ilan Duran Cohen
Actes Sud, 302 pages, 20

Bienheureuses castrations Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°217 , octobre 2020.
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