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Domaine étranger Un homme indigné

novembre 2020 | Le Matricule des Anges n°218 | par Thierry Cecille

Tel un gardien de phare dans la tempête, José Saramago n’a cessé d’observer et de juger notre monde, fidèle à ses convictions. Deux volumes posthumes en témoignent.

Un regard sur le monde

Peut-être le prix Nobel reçu en 1998 fut-il pour José Saramago non seulement le signe d’une reconnaissance exceptionnelle mais encore une sorte de revanche personnelle. L’accueil réservé à L’Évangile selon Jésus-Christ, en 1991, avait en effet été si malveillant – il fut accusé de « porter atteinte au patrimoine religieux des Portugais »  ! – qu’il avait préféré s’exiler à Lanzarote, aux Canaries. C’est là qu’il mourut, en 2010 (il était né en 1922) et qu’il écrivit les six volumes de son journal intime. La présente anthologie nous permet d’en avoir un aperçu révélateur. Un regard sur le monde est composé de quatre parties d’ampleur inégale : treize poèmes précèdent ces extraits du journal (qui couvre les années 1993 à 1998) puis suivent des articles et interventions dans un premier temps sur la littérature (dont son discours de réception du prix Nobel) puis sur la société contemporaine.
Loin d’être l’occasion d’une retraite hors du monde, son île est plutôt pour Saramago comme une tour de guet d’où, vigile vigilant, il ne cessa de réfléchir, de prendre parti, et de créer. Nous suivons ainsi en particulier la difficile gestation de L’Aveuglement, qui lui coûta quatre ans d’efforts et dont il avoue, lorsqu’enfin il l’achève : « Je me suis battu, énormément battu, moi seul sais à quel point, contre les errements, les doutes, les incertitudes qui m’assaillaient sans cesse au sujet de mon histoire et me paralysaient. Comme si cela ne suffisait pas, j’étais désespéré par l’horreur de ce que je racontais ». Il se consacra ensuite à un récit autobiographique à propos duquel il ne cesse de s’interroger sur ce qu’est la mémoire, « kaléidoscope » qui « manipule les souvenirs, les organise, les compose et recompose ». De manière prévisible dans un journal intime, nous trouvons ici des rencontres avec des écrivains dont il se sent proche – Gabriel García Márquez, Jorge Amado – et des pages qui témoignent de ses admirations – envers Fernando Pessoa ou Don Quichotte. Nous découvrons également de belles descriptions des paysages qui l’entourent et qu’il parcourt, s’attachant aux nuances des reliefs comme à l’authenticité des habitants. Çà et là, ses méditations sur des sujets multiples prennent la forme d’aphorismes : ainsi, réfléchissant sur ce que Lisbonne signifie pour lui, peut-il écrire : « Physiquement, on habite un espace, mais, sentimentalement, on habite une mémoire ». Le vieillissement est là, la mort s’approche, mais il l’envisage avec lucidité et sans effroi : « La mort (…) n’est ni illogique, ni absurde, ni incompréhensible. Ce qui est réellement incompréhensible, illogique et absurde, c’est la vie. Nous mourons parce que nous existons, mais nous ne savons pas pour quelle raison nous existons. Et je ne crois pas que nous devons penser à la mort pour donner de la valeur à la vie, comme si on parlait affaires  ».
Les pages les plus remarquables, cependant, sont peut-être celles dans lesquelles Saramago se montre non en spectateur mais en acteur engagé. Homme de gauche – il allait jusqu’à se présenter comme un « communiste hormonal » – il analyse l’Histoire au présent. Qu’il s’agisse de Sarajavo bombardée, des paysans sans terre du Chiapas, de « la chose Berlusconi  », ou encore de l’Europe tout entière livrée au « Marché », il ne cesse d’alerter et de se révolter, fidèle à cette sorte de déclaration de principes : « S’il y avait une épitaphe qui me conviendrait, ce serait : Ci-gît M. Untel, un homme indigné  ».
C’est cette préoccupation de l’Histoire comme champ de bataille, lieu de luttes politiques que nous retrouvons dans Hallebardes, roman posthume malheureusement inachevé. Illustrées par des dessins de Günter Grass et suivies par un texte d’hommage de Roberto Saviano, ces pages, tout à la fois denses et comme animées par une ironie légère, mettent en scène un curieux anti-héros, confronté à des événements qui le dépassent mais auxquels il veut quelque peu tenir tête. Artur paz semedo (Saramago élimine les majuscules) travaille depuis presque vingt ans dans une usine d’armement, adore les films de guerre mais a été quitté par sa femme, fervente pacifiste. Découvrant L’Espoir de Malraux, il est bouleversé par une révélation : des ouvriers d’une usine d’armement auraient saboté des obus destinés aux franquistes pendant la Guerre d’Espagne. Il décide alors d’enquêter dans les archives, de pénétrer « dans les profondeurs du passé inexploré  ». Au lecteur, donc d’imaginer la suite, que Saramago n’a pu écrire – mais il avait prévenu : « La fin d’un voyage est tout juste le commencement d’un autre  ».

Thierry Cecille

José Saramago
Un regard sur le monde
Traduit du portugais par Dominique Nédellec
Seuil, 310 pages, 23
Hallebardes
Traduit du portugais par Geneviève Leibrich
Seuil, 128 pages, 16

Un homme indigné Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°218 , novembre 2020.
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