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Essais Dans le miroir de courtoisie

janvier 2021 | Le Matricule des Anges n°219 | par Jérôme Delclos

Par le détour d’un hommage aux lieux habités, aux livres aimés, aux amis disparus, le philosophe Giorgio Agamben compose son propre portrait en creux.

Autoportrait dans l’atelier

On connaît ce discret équipement des habitacles automobiles : installé « à la place du mort », qui abaisse le pare-soleil y trouvera le miroir dit « de courtoisie ». On y vérifie sa coiffure, son maquillage ou son nœud de cravate, et l’on y regarde sans se retourner la personne, sur la banquette arrière, avec qui l’on converse. Mais elle aussi nous regarde, lit la partie supérieure de notre visage. Ce petit dispositif optique n’est pas sans présenter quelque analogie avec la démarche d’Autoportrait dans l’atelier, que Giorgio Agamben, parvenu à l’âge de la mémoire souveraine, a voulu testamentaire. Il métaphorise, à l’échelle d’une existence fût-elle inachevée, pour paraphraser un beau titre de Georges Didi-Huberman la dialectique de « ce que nous voyons » et « ce qui nous regarde » depuis le passé. Échos, certes, survivances comme fantômes, mais intenses dans le télescopage d’une vie derrière nous – « rétrovisée » alors – avec le présent qu’il lui reste à vivre.
« On dit que les vieux n’ont plus qu’une seule corde sur laquelle jouer. (…) Mais cette unique corde désaccordée résonne de manière plus ample et plus profonde que l’instrument intact de la jeunesse ». C’est vers cette résonance qu’Agamben se met à l’écoute : photos des maisons habitées, aimées, des amis défunts près de qui on le voit, lui, en jeune homme, plus les livres, les œuvres d’art, qui l’accompagneront. Parfois, une lettre manuscrite, un quartier sur un plan de Rome, un visage d’enfant dans un cadre. Si peu de choses : « C’est le moment où il nous semble ne plus pouvoir ni vouloir rien avoir ». Plutôt les pauvres mais précieuses possessions, en prévision du dernier voyage, du philosophe qui sait que le temps ne se nourrit que du perdu. Pourquoi, alors, faire ainsi retour ? Parce que désormais il est tard, et qu’est venue l’heure, entre chien et loup, de la lenteur et de l’urgence. «  Tardus signifie «  lent ». Mais il existe une rapidité particulière, celle de qui sait qu’il est de toutes façons trop tard ». Nul désespoir, pourtant, dans ce rassemblement qui coïncide avec « vouloir débarrasser, faire de l’espace ». Bien au contraire, une ouverture : « Stupeur que l’espérance demeure intacte, même si elle sait qu’elle ne sera pas exaucée, que seul ce qui ne peut être exaucé est réel ».
Les premières photos de groupe, en noir et blanc ou dans le Kodacolor des années 60, sont nimbées de cette aura de mélancolie sereine que l’on retrouve tout au long du livre. C’est le séminaire du Thor de 1966, la rencontre inoubliable, pour quelques happy few, avec Heidegger. Quelques pages plus loin, il est question d’autres cercles : ceux, concentriques par degrés de proximité, autour d’Elsa Morante qui disait « seul qui aime connaît », au sens où, commente Agamben, « Connaître signifie naître ensemble, être généré ou régénéré par la chose connue ». On y croise donc la génération des Pasolini, Francesco Rosi, Bassani, Moravia bien sûr, et l’historien Nicola Chiaromonte dont la question suivante, dans son livre Le Paradoxe de l’histoire, avait frappé le jeune Agamben : « Que reste-t-il de la suite des jours et des années vécue comme on a pu, c’est-à-dire suivant une nécessité dont on ne réussit pas même aujourd’hui à déchiffrer la loi, mais vécue en même temps comme elle arrivait, c’est-à-dire au hasard ? »
Dans la façon dont Agamben dialogue avec ceux qui ont alimenté sa pensée – Debord, Caproni, Klossowski, Giorgio Colli, Calvino, Jean-Luc Nancy, et d’autres moins connus – la gratitude ne se dissocie jamais de son propre parcours intellectuel, en manière élégante de rembourser ses dettes. Parmi eux, l’infiniment regretté, le beau complice, José Bergamín, et que l’on voit, en quatrième de couverture, attentif à Giorgio qui lui parle à l’oreille. Ceux que l’auteur n’a pas connus pour être né trop tard, Simone Weil, Walter Benjamin dont il hérite de la passion des livres pour enfants, Alfred Jarry, rejoignent, « coprésents », cette fraternité de l’esprit à laquelle Agamben, sur le mode anthume, appartient déjà. Comme on dit en forme de vœu : le plus tard possible.

Jérôme Delclos

Autoportrait dans l’atelier
Giorgio Agamben
Traduit de l’italien par Cyril Béghin
L’Arachnéen, 133 pages, 25

Dans le miroir de courtoisie Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°219 , janvier 2021.
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