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Histoire littéraire L’énigme Mishima

janvier 2021 | Le Matricule des Anges n°219 | par Didier Garcia

Cinquante ans après sa disparition, retour sur la vie de l’écrivain japonais, avec la biographie de son traducteur américain, enrichie pour l’occasion.

En 1970, quelques mois avant ses 46 ans, Yukio Mishima a publié quarante romans, dix-huit pièces de théâtre, vingt recueils de nouvelles et autant d’essais littéraires. Il a vendu un de ses romans à plus de 300 000 exemplaires (Les Faux Pas de la vertu, qui raconte le destin d’une femme adultère), il est considéré comme un des écrivains japonais les plus importants du XXe siècle (il a d’ailleurs été proposé à trois reprises pour le prix Nobel). Ajoutons à cela qu’il a déjà fait sept fois le tour du monde, qu’il a été tour à tour acteur et metteur en scène, qu’il est marié et père de deux enfants (une fille de 11 ans, et un garçon de 8 ans). Comment comprendre qu’un tel homme, avec une réussite à rendre jaloux neuf écrivains sur dix, ait eu envie de se donner la mort, qui plus est par seppuku, c’est-à-dire par une éventration au sabre suivie d’une décapitation ?
John Nathan se garde bien de donner une réponse. Mais sa biographie, divisée en huit chapitres (qui sont autant de périodes dans la courte vie de Mishima), explore minutieusement la trajectoire incroyable de ce « petit garçon à sa maman » (quand il rentrait chez lui, il allait d’abord saluer ses parents dans l’annexe où ils logeaient, avant de rejoindre épouse et enfants).
Kimitaké Hiraoka aura été précoce pour à peu près tout. Après avoir passé les douze premières années de sa vie avec une grand-mère possessive, il est enfin rendu à ses parents. Il commence alors à écrire sérieusement, quitte à déplaire à son père, qui le lui interdit (il l’y autorisera bien plus tard, mais à condition qu’il devienne le meilleur). À 15 ans, il est subjugué par Le Bal du comte d’Orgel du jeune Radiguet : il ressort de cette lecture « avec un sentiment de jalousie et de rivalité à l’égard de son auteur ». C’est en 1941 qu’il se choisit son nom de plume : Yukio Mishima. Bien qu’il ait déjà une trentaine de volumes à son actif, il est encore inconnu quand, en 1946, il décide de prendre Yasunari Kawabata comme mentor (celui-ci le coiffera sur la ligne pour l’attribution du prix Nobel en 1968). En 1949, il publie Confessions d’un masque (qui fait aussitôt sa célébrité), un testament qu’il voulait « léguer au domaine de la mort » dans lequel il disait avoir vécu jusqu’alors.
Quand il épouse Yôko le 30 mai 1958, il est au faîte de sa gloire. Son emploi du temps est celui d’un mercenaire : réveil à 13 heures, activité sportive l’après-midi, dîner toujours pris à l’extérieur, retour à minuit dans son cabinet de travail pour une nuit complète d’écriture, au cours de laquelle il est capable d’écrire un roman populaire en quelques heures puis de ralentir la cadence pour travailler à un projet plus sérieux. Un de ses carnets témoigne, à la date du 8 août 1958, de cette énergie hors du commun : « Mon travail a bien progressé, et au matin je suis arrivé à la page 200 de La Maison de Kyokô. Il me reste donc 800 pages… je ne suis pas loin du but en somme » (pour ce roman, qui n’en fut pas moins son premier échec éditorial, il aura mis quinze mois à coucher ses 947 pages).
Parallèlement à son œuvre de plume, qui ne lui vaut plus tout à fait la même considération, Mishima poursuit celle « du sabre », autrement dit ses écrits politiques, dans lesquels il s’éloigne de ce Japon qui a capitulé en 1945 pour exalter celui de l’empereur. C’est d’ailleurs en son nom qu’il se donne une mort décidée un an auparavant, et dont le déroulement a été planifié dans les moindres détails au moins huit mois à l’avance (un scénario aussi spectaculaire qu’efficace). Quelques minutes avant de mourir, il déclare qu’il s’agit « d’une action inspirée par une pure ardeur patriotique ».
Le jour de sa sépulture, sa mère déclare à un proche venu à la cérémonie avec un bouquet de roses blanches : « Vous auriez dû apporter des roses rouges comme pour une fête. C’est la première fois de sa vie que Kimitaké a fait une chose qu’il avait toujours voulu faire. Soyez heureux pour lui. »
Tout au long de sa biographie (qui évite l’hagiographie), John Nathan dresse le portrait d’un écrivain qui tenait « un trépas douloureux » pour « un bonheur suprême ». Celui d’un homme obsédé par la mort, tiraillé par des pulsions antagonistes (homosexualité à l’intérieur du mariage, vie à l’occidentale malgré l’attachement au passé impérial), qui a su faire de son existence un chef-d’œuvre pour le moins énigmatique.

Didier Garcia

Mishima
John Nathan
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Tanguy Kenec’hdu,
Gallimard, 352 pages, 23

L’énigme Mishima Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°219 , janvier 2021.
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