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Poésie Voué au vrai jusqu’à se perdre

avril 2021 | Le Matricule des Anges n°222 | par Richard Blin

Dans un monde qui lui est un défi permanent, la poésie de Philippe Jaccottet, qui vient de mourir, incarne une façon heureuse d’habiter la terre. Deux derniers textes viennent l’illustrer.

Le Dernier Livre de Madrigaux

La Clarté Notre-Dame

Tout est dit. Philippe Jaccottet est décédé le 24 février dernier, mais le chant aura été chanté, « risqué à voix basse ou même quelquefois, rarement certes, clamé à pleine gorge comme une explosion de soleil sous les voûtes de pierre ». Né en 1925, à Moudon, en Suisse romande, il habita Lausanne, où il fit ses études universitaires, puis Paris avant de s’installer à Grignan, dans la Drôme, dès 1953. Poète majeur – il est de ceux qui ont renouvelé la poésie française au lendemain de la Seconde Guerre mondiale –, grand traducteur, incomparable lecteur, son œuvre s’impose par sa justesse, son exigence, son attention à l’élémentaire, son sens de l’émerveillement, et la façon qu’elle a de se tenir entre les vivants et l’ombre des morts. Utilisant toutes les formes d’écriture – proses, poèmes, notes – elle développe une poétique de l’éclat à travers la valorisation et la saisie de l’instant présent, poétique constamment réévaluée à l’épreuve du temps et de la vie.
Le printemps dernier, outre le désir de rassembler quelques-uns de ses écrits sur l’art – Bonjour, Monsieur Courbet, à paraître au Bruit du temps –, Philippe Jaccottet a voulu voir aboutir deux projets : Le Dernier Livre de Madrigaux et La Clarté Notre-Dame. Le premier rassemble des poèmes écrits dans la seconde moitié des années 80. S’ouvrant sur un chant de Claudio Monteverdi (1567-1643), le grand maître du madrigal, ce genre poético-musical qui dérive des chansons de troubadours – « On croirait, quand il chante, qu’il appelle une ombre / qu’il aurait entrevue un jour dans une forêt / et qu’il faudrait, fût-ce au prix de son âme, retenir : / c’est par urgence que sa voix prend feu. » –, ce livre tout en volutes enflammées évoque des scènes, des paysages, des fêtes qui renvoient aux grands textes qui ont inspiré Jaccottet et qu’il a traduits, Dante, Homère, Ungaretti. Des poèmes à l’expressivité baroque, traversés par la lumière du temps, et qu’un rythme tourmenté fait flotter entre solitude et silence, inaccessibles figures du désir et présence obscure de « l’archer noir aux trop froides flèches ». S’ouvrant à ce qui les déborde, ils chantent, comme à contretemps, la grâce et l’irréversible. « As-tu rêvé que la lumière n’était pas seulement au ciel, / hors de portée, / pas seulement dans la musique entendue / mais dans la musicienne, sur ses lèvres, / dans ses yeux, même quand elle se tait ? »
La Clarté Notre-Dame, plus émouvant encore, réunit des notes dans lesquelles, en dépit du grand âge, Jaccottet se montre tenace, continuant à assembler les signes de la lumière. Des notes nées d’une promenade faite à la fin de l’hiver 2012, « à l’intérieur d’un grand paysage descendant en pente douce vers un lointain vallon, sous un ciel gris ». Rien de bien particulier sauf que, soudain, se met à sonner la petite cloche des vêpres d’un couvent « qu’on ne voyait pas encore ». C’est cette cloche, cet instant, qui a suscité son désir d’écrire, un moment qui vient s’ajouter au nombre de ceux qui l’ont ému « de façon si secrète et si profonde  » qu’il y a vu plus qu’un signe, l’expression d’une réalité différente dont le pressentiment est au cœur de sa vocation poétique. Des moments où l’être, l’insaisissable, l’illimité, rayonnent, et donnent à éprouver la présence d’un invisible, d’une insondable vérité, source d’une joie mêlée de sacré et de secret.
Cette « surprise de la cloche des vêpres », il tente, dans une première partie, de la mettre en mots, de dire – avec les scrupules, les hésitations, les ajustements si caractéristiques de sa manière d’écrire – sa modalité particulière, sa vérité singulière, et ce faisant, découvre à sa vie « une apparence de sens » en pensant à tous ces signes dont il aura été le « cueilleur, le “recueilleur”, et le trop maladroit interprète ? ».
La seconde partie prend ensuite la forme d’une introspection, d’un retour sur son œuvre et sur les lectures dont il s’est nourri : Gustave Roud, le premier maître, Hölderlin, « la rencontre la plus importante de ma vie de lecteur de poésie », Rilke, Dante, Leopardi. Né de la conscience d’une fin inéluctable et de l’attrait sensuel du monde, ce texte testamentaire est une ode à ce qui aura porté son auteur et l’allège encore : l’écriture – « Tracer encore des lignes comme on jetterait des filins à la surface d’une étendue d’eau, mare infime ou mer à perte de vue, afin qu’ils supportent une espèce de filet qui nous éviterait la noyade » – et tout ce qui dans la poésie est bondissement d’eaux vives et aérienne liberté d’oiseaux.

Richard Blin

Le Dernier Livre de Madrigaux
et
La Clarté Notre-Dame
Philippe Jaccottet
Gallimard, 48 p. chacun, 9 et 10

Voué au vrai jusqu’à se perdre Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°222 , avril 2021.
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