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Domaine français L’art de rien

juin 2021 | Le Matricule des Anges n°224 | par Chloé Brendlé

En dix portraits tendres et drôles, Alice Roland défait la figure de « l’Artiste » majuscule pour s’attacher à celles d’anonymes et aux désirs multiples qui les portent à créer.

Au secret de chacun

Pour conseiller la lecture d’Au secret de chacun, on pourrait dire d’abord que c’est un anti-manuel d’art, ou alors une lettre indirecte aux jeunes poètes, un manifeste incertain du désir d’art, un herbier de graines non répertoriées à propager à tous vents rêveurs. Pour dire combien ce livre nous touche, touche juste, vient l’image d’une déflagration douce – un caillou qui ricoche, de proche en proche, d’une histoire à l’autre, pour parvenir à nous et nous élargir l’espace mental. Qu’est-ce qu’un artiste ? Peut-on l’être par intermittence, avec un début, une fin, des pauses, le dimanche mais pas la semaine ? Existe-t-on artistiquement sans public ? Sans œuvre ? Et peut-on séparer la vie de l’art, comme on parle de « vie professionnelle »  ? Séparer l’art du « monde de l’art »  ? Toutes ces questions naïves et fondamentales, pratiques mais sentimentales, Alice Roland les pose sans y répondre. Elle propose, plutôt, dix récits – dix moments de la vie d’artistes : un brodeur dont l’activité principale est d’enseigner au collège « une discipline nommée arts plastiques », un lycéen aspirant dessinateur échafaudant son départ de la maison, une auteure qui rêvasse à la bibliothèque, une danseuse aimant « l’idée qu’existe un métier où l’on connaisse la forme des pieds de ses collègues », une choriste qui n’a plus le cœur à se produire sur scène, une cinéaste qui tourne sans caméra, un sculpteur qui tourne en rond, et tous les autres. Ils ne se fréquentent pas mais ont en commun le dégoût d’un « milieu », où il faut compter ce que l’on fait pour être compté (« N’est-ce pas s’offrir à la schlague de l’époque, de faire les comptes de sa propre activité, de ses propres performances ? Comme on compte sans fin les manifestants des cortèges, prouvant qu’ils ne sont pas si nombreux, pas si représentatifs. On compte, on affaiblit ; on compte les corps, on obtient des chiffres, tous mots et gestes tombés en disgrâce. Il n’y a pas de place, dans les comptes, pour les après-midi de rire ou d’ennui. ») ; ils partagent un attrait pour l’inutile, le dépassé (broderie, vieux instruments, le muet plutôt que le parlant…), le gratuit, l’improvisé, l’attente, et surtout « croire » plutôt que « croître ». Ce pourrait être un roman vaguement dépressif, ou alors franchement cynique. Pas du tout.
C’est un roman qui affirme le désir paradoxal d’œuvrer. Par l’amour de l’art et par sa honte, par l’envie d’appartenir enfin à un groupe qui nous rassemble et par impossibilité de s’y tenir, par l’humaine et commune condition qui est autant de se demander aux plus hauts instants de lucidité ce qu’honnêtement, on fait là, que de cultiver envers et contre tout sa manie, grande ou petite. Le credo de ce livre serait « Croire aux rencontres même sans personne. Sans presque personne. » Alice Roland dessine ce faisant une double ligne. Ligne poétique d’abord, faite de frôlements d’existences entre des inconnus, faite d’interstices, symbolisés par les points de suspension au milieu de ces récits de vie, ou faudrait-il dire de contes : phrases simples, claires, eau de roche, questions ouvertes, humour à saisir, ironie légère tendresse surtout. Ligne de révolte ensuite, avec suggestions d’échappatoires aux adultes impératifs de productivité. Elle montre comment se passer de la valeur, et jusqu’où peut se nicher l’art, sans jamais verser dans l’extase de la « créativité » et dans les boniments façon développement personnel. Elle montre ce que cela peut être d’avoir la tête à l’art sans avoir la gueule de l’emploi, d’avoir la foi sans être crédule. Au fur et à mesure de ses textes prend forme l’idée d’une résistance à toutes les demandes absurdes qu’on nous et qu’on se fait, et s’organise une révolte possible, sensible, depuis la bronca spontanée de marmots spectateurs au happening jouissif des pensionnaires d’un Ehpad. On découvre Alice Roland avec ce très beau troisième roman ; elle écrit, elle danse – du coup, nous aussi.

Chloé Brendlé

Au secret de chacun,
Alice Roland
P.O.L, 224 pages, 18

L’art de rien Par Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°224 , juin 2021.
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