Dès son premier livre en 1988, intitulé Lettre de Gao, Joël Vernet s’est engagé sur la voie d’une recherche toute singulière et personnelle. Si le voyage représente cet élan qui porte à la découverte, il peut aussi bien prendre une tout autre direction. Joël Vernet se sera également tourné vers l’écriture de sa vie intérieure. La Nuit n’éteint jamais nos songes rassemble ainsi les feuillets d’une vie devenue livre. Le lecteur ne trouvera là aucune leçon de vérité, mais l’intuition d’un homme qui depuis l’enfance traverse « les nuits une torche à la main ». L’auteur évoque l’éveil de sa sensibilité à la nature, son enfance passée à la campagne, qui fut marquée par la mort de son père. L’événement fut une sidération, un « désastre ». Le jeune garçon en perdra les mots, nous est-il raconté. Sans perdre de vue son existence quotidienne, l’écrivain nous la décrit comme éloignée de tout, se déroulant dans un village retiré, où du jardin de sa maison il contemple un superbe tilleul, qui lui rappelle le visage de son père. Le fil conducteur, c’est bien « cette vie immobile » présente à celui qui n’aime rien tant que contempler le tremblement même des choses.
Aussi, cette lettre écrite avec une extrême douceur, nous parvient-elle dénuée de toute fioriture. Joël Vernet a le sens de la formulation fulgurante. Ses phrases n’ont rien de l’artifice, mais suivent l’élan du cœur. Et ce cœur qui s’ouvre à nous, ressemble à celui d’une rose dont les pétales sont « offerts aux quatre vents ». Ce cœur encore est une fenêtre, par laquelle la lumière entre à profusion. L’image qui illustre ici le travail opéré par le regard, est forte. Car, le temps est à l’œuvre dans la chambre intérieure qui constitue l’atelier secret du poète. Depuis l’enfance, celle-ci n’a cessé de recevoir l’éblouissement de la lumière comme un émerveillement inaltérable : « chaque jour la fenêtre me raconte cette évidence, permettant à la lumière d’entrer. » C’est sa conscience du temps que l’écrivain est amené à interroger : « Quand donc viendra me prendre la foudre ou l’éclair ? » Cette évocation à peine voilée de la mort ne met pas fin à l’attention accordée aux « Vivants ». Ainsi, la nature est-elle l’objet d’une écoute de tous les instants : « Le vent fait jouer ses flûtes devant mes fenêtres. À d’autres instants, il hurle comme un loup affamé dans la forêt. (…) Cette musique m’aide largement à glisser d’un jour à l’autre. Le silence est ici l’unique chef d’orchestre. Les mots sont mon instrument. » L’auteur parle tout autant au lecteur qu’à lui-même : tout est sujet à transfiguration. Il s’agit alors de dévoiler « le Réel ». Se risquer à écrire revient à trouver l’apaisement. Mots et paroles sont agissants : « Parler, c’est comme prendre par l’épaule, épauler. Je ne peux écrire qu’en toute clarté, émerveillé par la lumière du soleil à travers les fenêtres. Surgit alors une parole si pure qu’elle ne laisse presque pas de trace dans le soir, comme une rayure sur la vitre que l’on ne voit qu’en nous penchant de telle ou telle façon. »
Le dénuement ici mis en lumière, rappelle la pauvreté de l’ordinaire tout autant que la violente beauté de toute chose. La vie et la mort se conjuguent alors, pour former ce que le poète nomme d’un oxymore, notre « nuit lumineuse ». Et ajoute-t-il, il aimerait « retrouver la langue simple ». « La Langue de la lumière et de la foudre qui n’est que langue d’amour. Je suis à la poursuite de cette langue m’échappant toujours ». De même, tout illusoire que soit l’exploration, le voyage se poursuivra. Le livre d’une vie n’empêchera pas le manque, l’absence, ou le silence. Quand il faudra repartir, l’écrivain saura où déposer les clés de sa maison.
Emmanuelle Rodrigues
La Nuit n’éteint jamais nos songes,
Joël Vernet
Lettres vives, 72 pages, 15 €