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Domaine étranger Un bruit de folie

juin 2021 | Le Matricule des Anges n°224 | par Anthony Dufraisse

À cause du barouf, la vie d’un prof bascule. Patricia Melo fait réfléchir à l’hystérie acoustique d’une époque minée de toutes parts.

N’est-ce pas Lacan qui disait que l’oreille est sans défense ? Aucune protection auditive ne saurait tout à fait empêcher un bruit de s’y infiltrer. Ce n’est pas le professeur de biologie que Patricia Melo met en scène dans un immeuble du Sao Paulo populaire qui dira le contraire. En raison d’un persistant conflit avec son voisin du dessus, envahissant « générateur de bruits », l’enseignant flirte avec la folie. « C’est ça le grand danger des bruits : ils entrent en nous comme des bactéries et ils infectent notre sang », constate l’intéressé dont la vie conjugale, pour cette raison notamment, se délite. Ailleurs : « Nous ne sommes pas seulement ce que nous mangeons, je m’en doutais déjà. Nous sommes aussi ce que nous entendons. » Au quotidien il subit donc l’enfer des nuisances sonores, « perturbé par le bing, bang, boum, clac et crac de M. Ipsilon », surnom qu’il donne à l’homme qui vit à l’étage. Jour et nuit ce ne sont, dans l’appartement, que craquements, crépitements, gémissements. Brésilienne résidant maintenant en Suisse et auteure de huit livres quasiment tous traduits par Actes Sud, Patricia Melo installe avec un plaisir non dissimulé une situation dont on sent bien qu’elle va dégénérer en drame. Madame sait y faire pour que l’animosité vire animalité. Car des « désirs homicides » travaillent secrètement le prof de bio qui commettra le pire, vous verrez comment, on ne vous en dit pas plus. Seule chose qu’on peut vous révéler, c’est qu’il y a de la drôlerie dans le désastre annoncé, voire de la bouffonnerie. Ça, c’est la première partie qui voit le personnage se transformer en « criminel accidentel », et ce pourrait être, pense-t-on souvent, le scénario d’un film de Woody Allen.
Avec l’arrestation, l’incarcération et le procès du prof devenu assassin médiatisé, la seconde partie se fait moins légère. La romancière dépasse en effet la facétie bien ficelée et glisse davantage dans une critique politico-sociale, on peut même dire anthropologique. La référence aux féroces figures mythiques Gog et Magog, qui fonctionne comme un symbole du Mal, apparaît au moment des plaidoiries. À travers la préparation puis la tenue du procès, Melo établit une navette continue entre la situation propre de l’accusé et celle de la société brésilienne, que mine une violence systémique. Le propos ne se limite plus seulement alors à une très pertinente réflexion sur « l’hystérie acoustique de la culture de masse », il scrute la nature des relations humaines actuelles, qui toujours plus se délitent. Élément sans doute sous-estimé dans une époque où l’image est omniprésente, le « stress acoustique » serait un ferment de la décomposition sociale, un perturbateur psychique collectif. La civilisation de l’image produit aussi, et ô combien on l’oublie, un bruit infini. Partout il étend son emprise sur les sociétés contemporaines, et d’abord les villes, sorte de métaphore d’un grondement qui monte, qui monte et que, paradoxalement, on semble ne pas vouloir entendre, comme sourd à cette poussée puissante et profonde.
Dans cette seconde moitié du livre, Patricia Melo expose donc intelligemment, c’est-à-dire sans systématisme et se tenant toujours à hauteur d’homme, ses idées sur l’évolution du monde actuel. Pas de démonstration, non, dans cette histoire d’un individu qui a commis l’irréparable et qui se trouve plongé au cœur des systèmes carcéral et judiciaire. Si on a pu sourire au début du livre, croyant qu’il s’agirait seulement d’une farce macabre et désopilante à la Woody, on se rend compte à la fin qu’il est bien plus sérieux que cela : une satire de ce temps présent si bruyant.

Anthony Dufraisse

Gog Magog
Patricia Melo
Traduit du portugais (Brésil) par Vitalie Lemerre et Eliana Machado
Actes Sud, 151 pages, 17,80

Un bruit de folie Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°224 , juin 2021.
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