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Domaine étranger Conduite intérieure

juillet 2021 | Le Matricule des Anges n°225 | par Jérôme Delclos

Noirceur et rédemption : l’Uruguayen Roberto Montaña nous embarque avec brio dans une road-story sauvage et tendre.

Les éditeurs français de polars étrangers ont hérité de la Série noire, époque Duhamel, une sale habitude. Ils escamotent le titre original et vous en font une boulette qu’ils jettent au caniveau. Puis ils vous remplacent cette inutilité par le titre le plus passe-partout possible. Parce que ça n’est que du polar, que le lectorat est réputé tremper jusqu’aux lunettes dans l’idiotie culturelle, et qu’il y a la maquette de la collection, la typo, l’illustration de première de couv’ qui bouffe de la place. C’est ainsi que le poétique et profond La noche en la que nos encontró el pasado, « La nuit où le passé nous a retrouvés », primé en 2019 par le plus convoité des prix littéraires du continent sud-américain, celui de la Casa de las Americas, devient Rien à perdre. On fera avec. Bien obligés, d’autant que l’on est reconnaissant à Métailié de cette trouvaille.
Outre que sa lecture nous réserve dans son dernier quart une belle surprise reliée à la petite bombe à retardement du titre, le roman est travaillé par la question du passé dès son incipit, deux mots : « Une ride ». C’est Juan González, Wave de son ancien surnom de rocker décadent au lycée, qui se regarde dans la glace. Là, devant le miroir, il se met un peu d’eye-liner, se prépare à des retrouvailles façon copains d’avant avec deux potes qu’il n’a pas revus depuis trente ans, Mario et le Nerveux. Ensemble, ils vont s’échapper de Buenos Aires pour quelques jours de virée en Uruguay. Dans une relique, la Ford Taunus Ghia de Mario, « de 83, la special  ». Wave a cinquante berges et ces laides petites rides qu’il se découvre, il n’a plus les longs cheveux blonds de sa jeunesse, sa belle gueule. Il cache son crâne dégarni sous une perruque, et son ophtalmo vient de lui annoncer un début de presbytie. Tout à l’heure, à la fin du chapitre, sa femme lui apprendra sans crier gare qu’elle a couché avec un jeune mec. Quand Wave, sonné, lui lance « T’es vraiment qu’une salope », elle reste zen, lui répond « C’est déjà du passé, Juan, et ça n’arrivera plus » (beau dialogue de couple en bout de course, à la Raymond Carver). Mais le passé, ça passe mal. C’est comme la crotte de chien, ça vous colle aux semelles et ça pue. À la fin du roman, l’un des personnages, un méchant très méchant, demandera à Wave : « Quoi ? Toi, tu crois qu’on peut échapper au passé ? »
C’est bien ce que tentent nos trois Pieds nickelés argentins en filant vers la frontière sous une chaleur d’étuve, dans une guinde qui régulièrement tombe en panne : se sauver du passé et de leur lourd présent. Pour Wave, sa fille atteinte d’une maladie qui lui sera fatale s’il ne trouve pas vite beaucoup de fric, pour le vieux garçon qu’est Mario sa mère castratrice, et pour le Nerveux la neuropathologie qui le détruit. Ces trois-là roulent vers un avenir incertain, et, pour tromper l’ennui, ils touillent avec la paille de leur maté les souvenirs de leur passé perdu, celui de l’époque du lycée quand ils croyaient en des lendemains radieux. Deux événements surviennent : Wave a planqué cinq kilos de coke dans « sa gabardine », raison pourquoi il transpire toute l’eau de son corps au poste-frontière, et le trio prend une auto-stoppeuse, Fatima, une jeune Libanaise enceinte jusqu’aux yeux.
Difficile d’en dire plus sans soulever le voile, sinon que l’escapade des compères va dégénérer : la coke que transporte Wave, qui compte la vendre dans l’idée de gagner de quoi sauver sa gamine, n’est pas à lui, et Fatima est tout près d’accoucher. C’est là que Roberto Montaña est très fort. Transcendant le genre du polar qu’il maîtrise parfaitement, l’Uruguayen, dont l’art se révèle pleinement dans les dialogues, dresse à toutes petites touches le tableau, quasi allégorique, des relations de la jeune madone avec nos trois loosers que l’on découvre peu à peu dans la complexité de leur psychologie et les changements qui s’opèrent en eux à mesure que défilent les kilomètres, puis qu’ils touchent au but : la nuit de la gésine, qui incendie tous les doutes et qui déchire l’ordre du temps. La fin, épique et émouvante, est un morceau de bravoure.

Jérôme Delclos

Rien à perdre,
Roberto Montaña
Traduit de l’espagnol (Uruguay) par René Salis
Métailié, 158 pages, 18

Conduite intérieure Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°225 , juillet 2021.
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