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Domaine étranger Viva utopia !

septembre 2021 | Le Matricule des Anges n°226 | par Thierry Guinhut

Sous les lumières australes, Claudio Magris éclaire trois histoires d’engagement.

Claudio Magris a-t-il définitivement abandonné les terres de la Mitteleuropa, celles traversées par ce Danube dont il abreuva son livre le plus emblématique ? Se tournant vers la Croix du Sud, l’on pourrait croire qu’il a migré avec armes et bagages vers les cieux de l’hémisphère austral. Cependant chacun de ses trois personnages est lié avec l’ancienne Europe. Le premier, Janez Benigar, vient de quitter la Slovénie, le deuxième, Orélie-Antoine de Tounens, est un Français, quand la troisième, Angela Vallese, est originaire du Piémont italien. Outre leur destination commune, la vaste Argentine, ils sont animés par une aspiration à l’utopie.
Non seulement Janez Benigar épouse une indigène, dont il a des enfants, mais il épouse sa cause, son langage. Entrepreneur agricole, ethnologue et linguiste, au point de rédiger un Dictionnario de la lengua araucana, « slovéno-hispano-araucan », il étudie un peuple à préserver, sa « pensée mythique » où règne la « Nécessité », sa religion attachée à la « sacralité des nombres ». Ainsi il poursuit dans la première moitié du XXe siècle « un idéal d’objectivité scientifique », tout en polémiquant contre le nationalisme, le racisme et l’étatisme centralisateur.
Étrange illuminé politique, Orélie-Antoine de Tounens débarque au Chili en 1860 pour refonder l’empire mapuche en se prétendant libérateur du peuple et roi de l’Araucanie et de la Patagonie. Il s’acoquine avec des caciques locaux, rédige une constitution, « chef-d’œuvre surréaliste ou dadaïste », attirant les Indios épris de liberté. Sa capitale aurait dû être un eldorado. Mais, rattrapé, il est affamé dans un asile d’aliénés chilien, avant de revenir en France poursuive son rêve, et rallier encore l’espace de son pouvoir fantasmé. Ce « Don Quichotte » aurait aujourd’hui un « successeur officiel » : Frédéric Luz.
C’est aux Indiens fuégiens que rend visite sœur Angela en 1880, dont l’habit monacal ressemble aux manchots noirs et blancs. Les territoires sont colonisés par les nouveaux propriétaires terriens et leurs troupeaux d’ovins. Face à l’extinction programmée des indigènes, grande est la douleur d’Angela, « si petite et si faible face à la grandeur du Mal  », pour qui la Terre de Feu est bénie et qui poursuit sans relâche son « œuvre salvatrice » et charitable. Elle et ses consœurs sont « laïquement étrangères à toute stupide idéologie du bon sauvage », connaissent les instincts brutaux des Fuégiens, voient les ravages de l’alcool. À l’occasion de ce territoire proche de l’Antarctique, Claudio Magris regorge d’allusions à Poe, Jules Verne et Lovecraft.
Plaines, montagnes, immensité de l’espace, où tout est possible, construire une civilisation ou la voir s’effondrer dans le néant, conduisent l’écriture, ample et cependant incisive, véritable prose poétique, de Claudio Magris, qui déploie une fresque haute en couleur. En ces paysages proches de l’infini se déroulent des épisodes « de cet abattoir qu’est l’histoire universelle ». Car les indigènes, Araucans et Patagons, y sont massacrés, en un pays où se succédèrent les violences populistes et militaires.
Ce triptyque de récits, quoique de dimensions modestes, est vertigineux. Car Claudio Magris ne procède pas tout à fait de façon chronologique : sa narration, à la lisière de l’essai, s’étend en étoile, explorant la psychologie, les actions, les strates culturelles et littéraires, y compris des auteurs croisés lors de cette entreprise de recréation et de mémoire. Chacun de ses héros est une allégorie d’un pouvoir, cependant souvent dérisoire : scientifique d’abord, politique ensuite, religieux enfin. Le seul qui soit grotesque est évidemment le deuxième, avec son royaume imaginaire qu’il tente d’imposer à un réel qui n’en veut pas, alors que les deux autres, bénéficient d’une admiration sans mélanges.

Thierry Guinhut

Croix du Sud, de Claudio Magris
Traduit de l’italien par Jean et Marie-Noëlle Pastureau, Rivages, 172 pages, 16

Viva utopia ! Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°226 , septembre 2021.
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