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Domaine étranger L’amplitude du monde

octobre 2021 | Le Matricule des Anges n°227 | par Camille Cloarec

Le Dernier volet de la trilogie autobiographique de Deborah Levy marque les retrouvailles avec son style irrévérencieux et éclatant.

C’est avec impatience que nous l’attendions, ce troisième épisode d’un cycle qualifié de « living autobiography » ou d’« autobiographie en mouvement » par Deborah Levy, amorcé en 2013 avec Ce que je ne veux pas savoir. Elle y revenait sur son enfance en Afrique du Sud, marquée par l’emprisonnement de son père qui combattait l’apartheid et sur son adolescence au Royaume-Uni, pays dont elle ignorait jusque-là tout. Le deuxième tome, Le Coût de la vie (paru en français cette même année 2020), exposait son quotidien de quinquagénaire fraîchement divorcée, confrontée à l’explosion récente de l’univers qu’elle avait mis tant d’énergie à construire vingt ans durant. Dans État des lieux, nous la découvrons au seuil de ses 60 ans, alors que ses filles désertent l’appartement londonien situé dans un immeuble en ruine, construit sur une colline, qu’elle occupe depuis une décennie. Une nouvelle vie, bien plus solitaire, s’annonce.
Malgré son sens de l’indépendance, la narratrice aborde cette période de transition avec anxiété : elle a besoin de compagnie. Une autre problématique la hante, celle de posséder une maison à elle où elle pourrait travailler à son rythme et accueillir ses proches. « Ce foyer était flou, immatériel, irréel, irréaliste, ou disons qu’il manquait de réalisme. » Au fil des semaines, elle y ajoute mentalement un grenadier, transforme la fontaine en rivière, peint les volets en vert clair. « Dans ma vie, j’ai passé un temps fou à scruter les vitrines d’agents immobiliers en quête d’un domaine à moi, le visage collé à la devanture en compagnie des fantômes d’autres rêveurs cherchant eux aussi une maison qu’ils n’avaient pas les moyens de se payer », réalise Deborah Levy. L’imagination est sans doute l’option la plus concrète qui s’offre à elle.
État des lieux ne se résume pas seulement à ce constat immobilier, loin de là. Il est aussi un voyage insatiable au cœur de l’imprévisibilité de l’existence. La vertigineuse succession de villes répond à un grisant besoin de liberté et de découverte. L’autrice est invitée à un festival littéraire à Mumbai, séjourne chez une amie à Berlin et s’évade en Grèce. Elle vide aussi l’appartement de sa belle-mère, tout juste décédée, à New York. Elle bénéficie d’une bourse d’étude de neuf mois à Paris, logeant dans une petite chambre de Montmartre. En traversant tous ces espaces provisoires, elle poursuit sa quête de la maison idéale, empruntant çà et là un détail, une inspiration ou une exigence. C’est une forme de rêve éveillé qui l’accompagne au quotidien, une obsession parfois inavouable, un désir sans cesse mouvant. Car le pire serait que quelque chose, quelque part, soit figé. « J’avais de nouveau l’impression qu’à toutes les étapes de la vie rien ne nous oblige à nous conformer à ce qui a été écrit pour nous, surtout quand ceux qui écrivent ont moins d’imagination que nous. »
Le franc-parler de Deborah Levy est toujours aussi jouissif. Tout autant que sa fantaisie et son ironie à toute épreuve. Elle continue de poser son regard audacieux et lucide sur les choses et les êtres qui l’entourent. La manière dont elle aborde sa crise identitaire, qui ne l’a pas quittée en raison de sa naissance à l’autre bout du monde, est intrinsèquement liée à son travail littéraire. « Je me suis demandé s’il était possible d’être un personnage matriarcal dont les besoins, l’ego, les angoisses et les humeurs ne prendraient pas tout le monde en otage. Une femme puissante qui serait au centre d’une constellation de parents et d’amis, mais qui ne cacherait pas ses failles et n’embêterait pas le monde pour susciter l’attention ou l’empathie. »
Au fur et à mesure qu’elle avance, l’autrice comprend que son destin personnel et son parcours littéraire, entremêlés à son cheminement féministe, ne font qu’un. En écrivant elle poursuit son propre personnage, lequel installe son bureau dans des cabanons, fabrique des glaces à la goyave pour ses filles et se retrouve assaillie par le passé. Ce troisième opus autobiographique approfondit les thématiques déjà évoquées précédemment : la frayeur de vieillir, la soif de vivre pleinement et joyeusement, le refoulement des regrets qui s’attardent dans les coins. Derrière sa trilogie se devine une volonté d’enserrer ce qu’est l’écriture, en tant que femme qui sillonne son passé, distingue ses erreurs et palpe l’immensité du monde. Qui a pris la parole, enfin, et qui est entendue. Son œuvre se confond avec sa vie, toutes deux s’inscrivant résolument dans une époque, une géographie et une langue ouvrant sur l’infini. Car « faire entendre sa voix dans ce vaste monde impressionnant était le but de l’écriture, l’unique but, même ».

Camille Cloarec

État des lieux
Deborah Levy
Traduit de l’anglais par Céline Leroy,
Éditions du sous-sol, 240 pages, 18

L’amplitude du monde Par Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°227 , octobre 2021.
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