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Domaine français Babils & tours de langue

novembre 2021 | Le Matricule des Anges n°228 | par Jérôme Delclos

Dans une prose riche en surprises, Hélène Sevestre rend un hommage magistral à la langue et à ceux qui l’apprennent.

La Professeure de langue

Dans son avant-propos, Hélène Sevestre, qui obtint en 1972 le Prix de l’Académie française pour ses Poèmes sauvages, place La Professeure de langue sous la double égide de l’école de Barbiana et du philosophe Walter Benjamin. La première référence est celle de la professeure de français langue étrangère, qui revendique la pédagogie développée dans Lettera a una professora : le manifeste, très critique de l’institution scolaire, d’une école italienne qui voulut enseigner autrement aux pauvres, et surtout en leur donnant la place et la parole qu’ordinairement on leur refuse. La référence à Walter Benjamin, quant à elle, est le fait de l’écrivaine et poète Hélène Sevestre, et elle éclaire son parti pris d’une écriture fragmentée : « N’achève l’œuvre que ce qui la brise, pour faire d’elle une œuvre morcelée, un fragment du vrai monde, le débris d’un symbole », dit Benjamin. Mais le lecteur de Sevestre comprendra qu’il n’y a pas, dans son livre, d’un côté le récit de l’enseignante et de l’autre la phrase de l’écrivaine, ou disons que la modestie de la première, attachée à nous révéler les beaux portraits de ses étudiants et les balbutiements, les progrès, les trouvailles qu’ils font en classe, est inséparable de l’ambition de la seconde à produire ces « débris » ou « fragments » du « vrai monde », comme une très belle vaisselle mais cassée, et qui montrerait, étrangement mieux encore qu’intacte, la splendeur de ses couleurs et la délicatesse de sa matière.
On connait la formule grave de Benjamin dans Expérience et pauvreté : « le cours de l’expérience a chuté ». Hélène Sevestre lutte là-contre, dans des blocs bien aérés où nous sont relatés par le menu les mots, les craintes, les doutes, les petits succès de la communauté formée par la professeure et ses élèves, qui se coltinent, ensemble, avec la langue française. « C’est de la poésie en prose » nous dit-elle, et aussi : « C’est une langue qui voudrait n’être ni orale ni écrite », parce que, commence-t-elle par indiquer à celles et ceux à qui elle enseigne : « il faut apprendre à parler et écrire en même temps ». Il en sort, déjà, des exemples très simples, très purs, phrases élémentaires que l’on imagine tracées à la craie blanche au tableau noir : « Un vol très serré d’oiseaux traverse le ciel », ou encore « Une croûte de pain dans la bouche, un Américain passe ».
Et très vite, comme Sevestre aussi nous raconte ses étudiant.e.s, ou qu’ils, elles, lui racontent et donc à nous aussi leur pays, des bribes d’histoires de vie comme la professeure le fait pour les souvenirs de ses voyages, de ses lectures (Laurence Sterne, Umberto Saba, Varlam Chalamov, etc.), de l’Argentine où elle est née, on ne sait plus trop, et c’est tant mieux, si nous sommes encore dans la classe ou bien déjà passés ailleurs, et si les humbles exemples du cours ne seraient pas, des fois par hasard, les occasions pour l’écrivaine de sa prose cadencée, souvent heurtée, tout en incises. « Une femme, dans le wagon, qui nous a vues, sourit ». Parfois, une rime qui par inadvertance tombe à pic : « Une bonne cigarette envoyée par sa tante, Jacques Vaché fume à l’hôpital de Nantes ».
Il arrive, on s’en régale, que tel étudiant avancé, « Peter, vieux professeur de Harvard », se substitue à la professeure pour nous faire don, sur l’estrade, du plaisir incongru et élégant d’un impeccable tour dix-septiémiste : « les informations délivrées par la presse sont si abondantes qu’on dirait les eaux d’un fleuve, mais le lecteur n’en peut pas profiter ». Au long du livre, le portrait attachant de la classe : « Ana, petite basquaise têtue », « Siyamala, petite, foncée, sri-lankaise, mauvaise élève », Andrew qui dit « c’est difficultueux » (« Difficile, hurle la professeure »), quand « l’étudiant norvégien » soudainement s’exclame ou peut-être s’incline : « Très difficul, le français ! » Et tous, mêmement avides d’apprendre et de se parler.
« J’aimerais qu’on puisse la comparer aux films des frères Lumière », dit Sevestre de son écriture. Bouts d’essai, ils machinent, turbinent, crépitent comme la pellicule sur son axe dans la cabine du projectionniste. C’est beau comme le vrai monde.

Jérôme Delclos

La Professeure de langue
Hélène Sevestre
Héros-Limite, 130 pages, 16

Babils & tours de langue Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°228 , novembre 2021.
LMDA papier n°228
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