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Domaine français Pastorale glaciaire

novembre 2021 | Le Matricule des Anges n°228 | par Etienne Leterrier-Grimal

Le premier roman de Jeremie Brugidou offre une fable écologique et archéologique où alternent couches de terres gelées, de temps et de voix.

Ici, la Béringie se déroule dans plusieurs époques et en un seul lieu : le détroit de Béring. Comme fils conducteurs, trois personnages. Il y a environ 15 000 ans, Selhézé, une autochtone assistant à la submersion progressive des terres qui faisaient la jonction entre Asie et Amérique jusqu’à la fin de la dernière glaciation. Vers 1946, Hushkins, un géologue américain fasciné par l’histoire géologique et zoologique du détroit, mais qui œuvre dans le contexte tendu des débuts de la guerre froide. Un siècle plus tard encore, Jeanne : une archéologue du futur qui contribue grâce à la fonte du permafrost au sauvetage et à l’étude des derniers vestiges animaux et humains. Le détroit de Béring est devenu le lieu d’appétits commerciaux rendus possibles par la construction d’un gigantesque pont magnétique entre les deux rives… et l’on songe à organiser les JO 2054 au pôle Nord.
Pourtant, Ici, la Béringie relate plus les rapports au monde et à un lieu que le devenir de ses personnages qui ne constituent en fait pas le cœur du récit, mais qui valent surtout par le regard qu’ils portent. La narration, tout du long polyphonique, tisse différentes expériences humaines à des siècles, voire des millénaires d’écart, mais toujours dans la conscience d’un monde à explorer, à retrouver dans son unité. Entre deux continents séparés, la Béringie représente en fait le trait d’union rêvé. Au cœur de cette narration souvent contemplative, douée d’un regard analytique et portée par une entêtante rêverie temporelle, se font sentir pourtant de doux parfums romanesques. D’abord, la réception par Jeanne d’un mystérieux carnet de botaniste ayant appartenu à son frère perdu traitant de la Béringie. Puis, la découverte d’un monument préhistorique mystérieux fait de côtes de baleine et de défenses de mammouths (« un passage initiatique, une structure symbolique de communication avec l’autre monde »). Plus tard, ce seront la visite d’un « Beringia Park », où évoluent aurochs, rhinocéros laineux et saïgas et les rivalités entre peuples natifs et intérêts financiers. Et cette découverte d’une Béringie engloutie qui prend parfois les aspects d’une Atlantide du Pléistocène annonce aussi le sort qui attend l’humanité dans les siècles à venir… Ce roman à inspirations multiples mélange aussi les époques : le carnet de botaniste s’avère être celui d’Hushkins, et Jeanne, au lieu de son frère, retrouvera Sélhézé, 15 000 ans avant elle. En Béringie c’est ainsi : l’avenir retrouve le passé.
Dans ces strates que le roman explore, strates de récit, d’expérience et d’époques, l’objet du récit s’affirme : c’est bien le sol toujours mouvant de la Béringie, mouvant car fondu, submergé, creusé, analysé, rêvé, et Jeremie Brugidou fait partout montre du regard de l’archéologue ou du naturaliste : « Myza note les chants des oiseaux de la steppe. Chez le lagopède des saules, c’est moins un territoire qu’un itinéraire qui est décrit, chaque jour différent. La fauvette à calotte brune, au contraire, est très véhémente et ajoute une séquence d’ouverture plus énigmatique ». Roman d’une terre, Ici, la Béringie s’inscrit dans ce courant écopoétique qui fait fi de l’anthropocentrisme attaché au récit depuis ses origines, et tente au contraire d’inventer des nouvelles narrations pour cerner au plus près le lieu, son climat, les organismes qui y résident, faisant de la littérature une part de ce que le critique Hubert Zapf a pu appeler une « écologie culturelle ».
Cette Béringie tour à tour liaison et rupture, symbolise partout deux rapports au monde, entre prédation moderne destructrice, coupure et reconstruction artificielle… ou bien continuité supposée d’un rapport originel à la nature, aux êtres vivants qui l’habitent, l’ouverture aux mythes, aux esprits et à la magie qui confond les animaux, ces « grands ancêtres », avec les hommes : « le collier du temps a été rompu et les perles sont dispersées. Seuls les agiles-esprits invisibles peuvent renouer la toile des êtres (…) et si les agiles disparaissaient pour de bon ? Il serait impossible de recréer le monde ». Récit palimpseste, Ici, la Béringie rêve cette archéologie littéraire capable d’explorer les strates d’un lieu perdu et d’en recréer l’essence avant que celui-ci ne se perde à nouveau.

Étienne Leterrier-Grimal

Ici, la Béringie
Jeremie Brugidou
L’Ogre, 194 pages, 19

Pastorale glaciaire Par Etienne Leterrier-Grimal
Le Matricule des Anges n°228 , novembre 2021.
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