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Histoire littéraire La caverne de Günther Anders

novembre 2021 | Le Matricule des Anges n°228 | par Éric Dussert

Entre 1932 et 1938, le philosophe allemand n’a cessé d’enrichir le manuscrit de son roman La Catacombe de Molussie. Sa traduction paraît enfin.

La Catacombe de Molussie

Pour inaugurer leur collection « Illusio », les éditions L’Échappée ont choisi de produire un volume remarquable que l’on n’était pas certain de pouvoir lire en français un jour. Si le livre est épais (deux traductrices et un traducteur en sont venus à bout), il peut se prévaloir d’une importance toute particulière : il constitue l’unique fiction romanesque du philosophe Günther Anders (1902-1992), l’auteur de L’Obsolescence de l’Homme (Ivrea-Fario, 2002-2011) dont l’importance cardinale n’est plus à souligner. Élève de Husserl et de Heidegger, mari d’Hannah Arendt de 1929 à 1937 (ils ne cessèrent pas de correspondre ensuite), Anders poursuivait avec ce projet littéralement océanique sur la voie de la fiction ses interrogations relatives au monde totalitaire et à la société de consommation. Mixant philosophie et politique dans cette « mer des histoires », succession de fables portée de narrateur en auditeur, comme Les Mille et Une Nuits, Anders imagine dans sa contre-utopie les culs de basse-fosse de la prison de l’État totalitaire de Molussie – qui évoquent inévitablement la caverne de Platon – où des détenus coupés de la vie extérieure se transmettent les histoires qui constituent leur savoir le plus précieux, celui qui servira à construire un monde harmonieux lors de l’hypothétique libération du pays. Présente dans les apartés de l’œuvre philosophique d’Anders, la Molussie n’était pas totalement terra incognita. On dispose désormais de son fabulaire avec ces « textes transportables » (ironiquement transmis par les geôliers chargés de la surveillance des prisonniers) qui racontent les errements d’une société assise sur l’industrie et les colonies, raffermissant sans cesse son emprise sur ses citoyens-consommateurs. Sous la forme de poèmes, de dialogues, de récit aboutissant parfois à un adage, il élabore un vaste filet philosophique où l’individu contemporain rencontre ses propres interrogations sur le monde qui l’entoure. Ainsi, à travers l’histoire de Bamba et de Madame Kri, du star-system prôné par les médias qui prisent tant le culte de la personnalité : « Quand l’idiot est effrayé par les méchants, il trouve refuge dans la vénération. » L’Histoire bégaye, il est vrai.
Narrativement comparable aux récits les plus politiques de Swift, de Kafka ou d’Orwell, sans oublier Brecht son compatriote, et peut-être même aussi de Franklin, Günther Anders avait trouvé le moyen d’illustrer littérairement le fond de sa pensée – et le moyen d’affiner ses idées en cours d’élaboration. Contemporain du Viol des foules par la propagande politique (Gallimard, 1938) où le microbiologiste Sergueï Tchakhotine dénonçait les méthodes littéralement marketing du nazisme, La Catacombe de Molussie fonde en littérature la critique philosophie de la société dans laquelle nous vivons, à un moment – les années 30 – où les écrivains tentaient de vastes fresques sur des bases plus ou moins existentialistes ou individualistes : « à l’époque de la raillerie généralisée de l’esprit, de l’abrutissement organisé, de l’idolâtrie commandée, rien ne demande un examen aussi approfondi et en même temps aussi vaste que le combat contre le mensonge au nom de la raison. Comme il est rare que l’homme montre de l’enthousiasme pour s’élever – et non pour se sentir vaguement “soulevés” – de l’enthousiasme pour se réaliser – et non pour s’idolâtrer (…). Aujourd’hui, le livre est destiné à toutes les victimes du mensonge : pas seulement aux intellectuels qu’il faut regagner ; pas seulement aux exilés qui, dispersés sur la Terre, viennent et meurent au nom de la liberté ; mais surtout à tous ceux qui croient au mensonge, à ses complices ignorants. Si l’un d’eux doute du mensonge et le renie, alors Olo et Yegussa n’auront pas non plus vécu en vain. “Moins le mensonge a de partisans, plus il est faible, disait déjà Olo.”  » Les dispositifs d’aliénation de la société marchande de 1950 et du siècle à venir étaient lucidement analysés dès les années 1930. Nous n’avons jamais que quatre-vingt-dix ans et quelque cinq cents pages de retard…
Éric Dussert

La Catacombe de Molussie,
Günther Anders
Traduit de l’allemand et présenté par
Annika Ellenberger, Perrine Wilhelm, Christophe David
postface de Gerhard Oberschlick,
L’Échappée, 566 pages, 24

La caverne de Günther Anders Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°228 , novembre 2021.
LMDA papier n°228
6,50 
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