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Domaine français Les noirs désirs de Gilles Sebhan

février 2022 | Le Matricule des Anges n°230 | par Thierry Cecille

L’écrivain, une fois encore, nous invite à l’accompagner en des territoires obscurs et fatidiques, où d’impossibles amours mènent à la folie.

Peut-être quelque chaîne française ou américaine s’emparera-t-elle de cette pentalogie ambitieuse et réussie qu’achève aujourd’hui Gilles Sebhan ? Il présente en effet ces cinq romans comme une « série » qu’il a intitulée Le royaume des insensés – sans doute en hommage à l’aliéniste Philippe Pinel qui les aurait libérés à la fin du XVIIIe siècle. Nous pourrions lui préférer ce titre, envisagé naguère par Michel Foucault pour une collection historique qu’il présentait comme une « anthologie d’existences » : La vie des hommes infâmes. C’est que se débattent, durant ces centaines de pages, hommes et femmes, enfants et adolescents, en rupture de normalité, à l’écart, volontairement ou involontairement, des vies banales et rangées, personnages plongés dans l’infamie des désirs honnis ou criminels, des fantasmes plus ou moins dangereux.
Nous retrouvons donc ici l’inspecteur Dapper et son fils Théo, qui avait été l’objet d’un rapt mystérieux dans le premier volume, Cirque mort (cf. Lmda N°190). Chez lui vit Ilyas, en proie à une folie énigmatique, alternativement solaire et nocturne, qu’il a recueilli après l’incendie de l’asile tenu par l’effrayant docteur Tristan, qui y avait trouvé la mort (La Folie Tristan, cf. Lmda N°201). Mais les années ont passé : Théo est parti pour tenter des études et échapper à l’attention sans doute oppressante de son père, sa mère est allée vivre avec l’ancienne institutrice de son fils, devenue une ambitieuse femme d’affaires, et Ilyas s’est réfugié dans un mutisme qui lui est tout à la fois une carapace et une prison. L’intrigue – cette fois encore policière et existentielle en même temps – se noue rapidement : Théo se met en chasse afin d’assassiner des coupables de harcèlements, humiliations et viols, et le père sera amené à enquêter sur son propre fils.
Comme dans les meilleures des séries, Gilles Sebhan parvient en même temps à créer et parfaire une atmosphère – celle de cette petite ville à la fois banale et sourdement effrayée et effrayante (pensons à Twin Peaks de David Lynch) – et à nous faire pénétrer dans la conscience de personnages à l’humanité pour le moins problématique ou défaillante (pensons aux criminels psychopathes, type Dexter). Mais, par bonheur, ce qui le préserve de ce que ces œuvres pourraient avoir de formaté, c’est tout d’abord une écriture qui ne se prive pas de recourir aux métaphores et aux formules marquantes, aux hyperboles paradoxales parfois. Ainsi de cette description des « stigmates » que s’inflige Théo : « Les scarifications avaient commencé au collège. Avec de petits objets aussi puissants que des fétiches (…). Quelque chose fascinait Théo dans sa propre douleur et la trace qu’elle laissait sur sa peau. Les croûtes. Le renouvellement de la chair. L’incision et la cicatrice. D’abord les bras puis le torse. Cela dessinait comme une carte secrète, cela faisait s’épanouir d’étranges fleurs aux formes inédites ».
Davantage encore, ce sont les thèmes ici abordés qui font la singularité de cette voix (et effraieraient peut-être les producteurs…). Comme chez Tony Duvert ou Jean Genet – à qui Sebhan a consacré plusieurs ouvrages, témoignant ainsi de leur proximité – c’est bien les affres et les excès du désir qu’il s’agit ici de circonscrire, d’ausculter. Il ne faut pas craindre d’approcher au plus près ce qu’il provoque parfois chez certains : désarroi ou cruauté, manque ou délire. Alors la dépossession rôde, la déraison menace – jusqu’à la fin : « Il déshabilla le corps, très lentement, comme on rend hommage à une dépouille, se déshabilla à son tour et se coucha sur lui pour que les chaleurs des deux corps, le vivant et le mort, se rejoignent. Théo n’avait plus aucune rage en lui mais une infinie tendresse. Il savait que cet instant ne se renouvellerait pas. Qu’il le volait aux dieux et que pour cette raison il pouvait y reconnaître sa propre malédiction ».

Thierry Cecille

Tigre obscur
Gilles Sebhan
Le Rouergue, 188 pages, 18

Les noirs désirs de Gilles Sebhan Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°230 , février 2022.
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