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Domaine étranger La folie en tête

février 2022 | Le Matricule des Anges n°230 | par Thierry Cecille

Mêlant épopée intime et fantasmagorie sensuelle, Dmitri Bortnikov bouscule le lecteur, le perd parfois, l’ensorcelle souvent.

Le titre serait-il un clin d’œil, un avertissement ou, à l’inverse, une sorte de formule conjuratoire ? Le Purgatoire ici annoncé serait-il, plutôt que celui du narrateur-personnage principal, celui du lecteur ? Il est certain que celui-ci doit s’apprêter pour un voyage qui le rudoiera mais lui offrira aussi bien d’autres surprises et émotions que les atones ou mièvres pages de nombre des autofictionnaires de la rentrée littéraire. Julie Bouvard, la traductrice (saluons l’exploit !) nous précise d’emblée que ce roman fut le dernier écrit en russe par Dmitri Bortnikov en 2005 et que celui-ci, symboliquement devenu Dimitri, écrit désormais en français. Sans doute a-t-il réussi à conserver en notre langue, la richesse lexicale et les trouvailles métaphoriques ici manifestes. Julie Bouvard précise ensuite qu’elle a eu toute latitude pour remanier le texte après ce dialogue avec le modeste (?) romancier : « - La moitié est à jeter ! me lança-t-il, catégorique. / - Le tiers…, marchandai-je. / Soit, concéda-t-il. À une condition : tu détricotes et tu retricotes tout. Tu as carte blanche ».
Nous ne nous risquerons pas à résumer les événements, ni même à tenter d’esquisser quelque chronologie : contentons-nous de préciser que les trois parties constituent les trois étapes de ce roman de formation. La partie centrale (peut-être la moins réussie, la plus désarçonnante) voit notre héros se rendre à la ville pour entreprendre des études dans un lycée technique, « section boulangerie », alors que la première et la troisième se déroulent dans le village où il habite avec sa mère, sa sœur et son oncle, aux bords de la Volga. Cet univers-là, en particulier par la présence du fleuve, a quelque chose des territoires magiques des contes. La mère est une création fascinante, entre la fée, la sorcière et la sirène. Autour de la sœur rôde la tentation de l’inceste, avant qu’une mort énigmatique ne la transforme en une sorte d’Ophélie flottant dans les roseaux. L’oncle, en proie à des manies successives, illustre la figure du doux dingue, de l’innocent. Quant au père, on ne sait pas trop ce qui lui est arrivé…
Si la figure d’Hamlet est parfois nommée, si l’on pressent que d’autres personnages et thèmes de la vaste littérature russe innervent sans doute ces pages, c’est souvent à celui de Mort à crédit que le narrateur ici n’a cessé de nous faire penser. Comme chez Céline, la voix (le texte nous donne parfois le désir de le lire à voix haute) mêle en effet tous les registres, du plus vulgaire au plus élevé, balance constamment entre la haine et l’ironie, grogne, gronde puis éructe, ou insinue, susurre, siffle. Ainsi de cette diatribe contre ses condisciples, eux tous « fils à papa » : « Leurs foutus sourires ! Sucrés à souhait. Si sucrés qu’on avait une vache envie de leur sauter à la gorge, de leur arracher les joues avec les dents. Ces gosses-là, on aurait dit des nourrissons après la sieste : insouciants, tellement insouciants… Et tellement sincères ! Oh ! Les petits mignons ! Avec leurs grands fronts intelligents et leurs couilles bien remplies ! »
Mais, davantage que chez Céline, le narrateur est, par bonheur, également capable de s’émerveiller ou de s’attendrir. Il sait aussi bien décrire ses « premiers points de suture à l’âme » que les « légendes familiales (qui) tiennent sur les pilotis du mensonge ». Sa lucidité souvent féroce ne l’empêche pas de savourer ou dévorer, sensuellement, ce que le monde peut offrir de merveilles : la mère nageant dans le fleuve, la beauté d’une institutrice, les plantes fascinantes d’un jardin botanique… À nous de savoir en profiter avant que la mort ne nous emporte, car « elle en a, des façons de se présenter, la dame à la faux ».

Thierry Cecille

Purgatoire
Dmitri Bortnikov
Traduit du russe par Julie Bouvard,
Noir sur blanc, 284 pages, 22,50

La folie en tête Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°230 , février 2022.
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