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Domaine français L’audace d’Anton

mai 2022 | Le Matricule des Anges n°233 | par Jérôme Delclos

Les deux nouveaux romans d’Anton Beraber donnent à lire bord à bord la grande langue dans sa bravoure. Coup double.

Braves d’après

Celles d’Hébert

On attend toujours au tournant l’auteur d’un premier livre encensé. Quatre ans après La Grande Idée, qui reçut le prix Valery-Larbaud, Anton Beraber sort enfin du bois avec non pas un mais deux seconds romans, Braves d’après et Celles d’Hébert. Tout comme chez Céline, Cingria ou Michon, la grande affaire de l’écrivain reste la phrase : travail d’atelier, exemplairement artisanal, où se rabote et se polit une langue qui se confronte à l’écart, toujours plus ou moins de classe, entre celle parlée et celle écrite. La critique a pu dire, lors de sa sortie, que La Grande Idée, qui se déroule en Grèce, était un livre « homérique ». Ceci pour le lyrisme, l’arrière-plan constant dans le roman d’une Grèce ancienne perdue, et pour son personnage, Saul Kaloyannis, héroïque comme le sont les perdants de l’Histoire (l’excipit le révèle avoir été enterré « comme un hamster »). C’est ce même attachement aux sans-grade, aux vaincus mais en gloire, que l’on retrouve dans les deux nouveaux romans de Beraber.
Entrons dans l’atelier, celui de Braves d’après que « Retour », beau nom pour un personnage, ouvre dans la maison de son grand-père mort. Il y découvre, « enveloppé dans un mouchoir souillé de graisse de chaîne », un carnet dans un tiroir de l’établi. « Dans le temps, les cultivateurs affectionnaient cette petite papeterie à carreaux sang-de-betterave, formatée à proportion des seules idées qui vous peuvent venir après deux fois six heures sur le Massey et, surtout, qu’ils ne payaient pas. Celui-ci, distribué aux frais d’une compagnie aérienne, avait les pages recuites par la sueur des poches, la spirale écrasée conservant l’arrondi de la cuisse ». À l’intérieur, dans « la langue (…) des exploitants de la plaine de Versailles, pas franchement un patois mais tout y pèse le poids des mots pas faits pour le papier », le récit d’un accident de chasse avec pour victime « Jan Kopacz », et qui va obséder le dernier des Retour, entre sa lecture du carnet et son enquête auprès des gens du coin. Et c’est alors un monde en son entier qui paraît devant nous, avec ses reliques – vieux outils, brimborions, pièces d’autos, etc. –, ses lieux, ses odeurs, toutes choses oubliées d’une ruralité reléguée à la frontière de la « Bordure Sud », sarcophage de béton pour une paysannerie embaumée. Beraber n’a pas son pareil pour les détails au pinceau fin, « les centimes de zinc du Maréchal enfilés sur un lacet gras et les trompes des Panhard d’avant-guerre pendues à leurs chaînettes comme des attrape-rêves ». Aucun passéisme, mais une démiurgie pour la subtile intrigue du roman d’un passé qui, sous l’apparente image d’Épinal, s’obstine à cacher sa part sombre que Retour saura déterrer, et mettre en pleine lumière autant dans sa dimension dramatique que dans sa banalité.
Le lecteur retrouve cette puissance de réanimation dans Celles d’Hébert. On y lit ceci qui pourrait sortir de Braves d’après  : « C’est comme parler d’un pays qui aurait disparu ». Le narrateur emménage dans un immeuble où vit un vieillard qui lui parle beaucoup des femmes, qu’il classe en deux catégories : « celles qui en sont » et les autres, sans que l’on sache trop ce qu’il entend par là, qui du reste fluctue. « Elles veulent toucher le bout de l’oreille que j’ai renroulé, de naissance ça, c’est de ma mère, mais un rien les amuse. Aussi faut pas laisser ouverts les tiroirs : celles que j’ai dit sont bien mais les autres, bien sûr, elles se servent dedans ». La langue ? Du parler, « Il n’y a pas épais de plancher  », ou des phrases bien vertes. « Ah, Hébert, qu’elles disent, fais-moi le chenillard et l’enjambeuse, et le tas, et le rebrousse-poil. » Cocasse et féroce comme l’est Le Père Duchesne de Jacques-René Hébert, son homonyme chez Beraber s’acharne à son tableau de la gent féminine – « Une meute. Tu ris ? » – en deux absurdes colonnes. Et c’est alors, en demi-teintes, tout un aréopage de femmes, une sorte de chœur antique, qui hante la narration d’une façon très tendre.
Ce n’est plus une question de style – Beraber est un virtuose – mais de vaillance. On comprend mieux que l’exergue de Braves d’après agite la bannière de la Chanson de Roland : Li quens Rollant unques n’amat cuard, ne orguillos, « Le comte Roland jamais n’aime le couard ni l’orgueilleux ». Sur la quatrième de couverture de Celles d’Hébert, l’extrait du livre évoque quant à lui « un courage spécial » pour réfuter le vieux sage quand il affirme, avec la gravité de la vraie pudeur, « tout n’est pas fait pour être dit ». Raison pourquoi cet entêtement à dresser ce qui, n’étant pas fait pour les mots, s’y cabre, réclame de l’audace, encore de l’audace, toujours l’audace d’Anton.

Jérôme Delclos

Anton Beraber
Braves d’après
Gallimard, 123 pages, 14,50
et Celles d’Hébert,
L’Atteinte, 117 pages, 16

L’audace d’Anton Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°233 , mai 2022.
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