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Intemporels Une aventure intérieure

juin 2022 | Le Matricule des Anges n°234 | par Didier Garcia

Écrivain et explorateur, Peter Matthiessen (1927-2014) a tenu le journal d’un voyage au Népal. Sans doute pour mieux vivre le présent.

Léopard des neiges

C’est en compagnie de son ami le biologiste George Schaller, alors tenu par ses pairs pour « le meilleur naturaliste de terrain », que Peter Matthiessen (cofondateur de The Paris Review et un temps agent pour la CIA) a réalisé en 1973 une expédition en pays Dolpo, une région faisant géographiquement et politiquement partie du Népal, située à la frontière du Tibet. Le genre de décor dans lequel, en quelques heures de marche, vous avez l’impression d’avoir « parcouru des siècles », et où vous comprenez pourquoi la vie rurale a été célébrée « comme le cadre naturel du bonheur de l’homme par de nombreux penseurs, de Lao-Tseu à Gandhi ».
Si cette expédition doit permettre à Schaller d’observer le bharal, autrement dit le « mouton bleu de l’Himalaya », dans son milieu naturel, elle sera peut-être l’occasion pour les deux hommes d’apercevoir cet animal mythique qu’est le léopard des neiges, un félin « prudent, miraculeusement habile à échapper aux regards, et si bien camouflé dans les endroits où il choisit de se tapir qu’on peut l’avoir sous le nez sans le voir ».
Grâce à son journal de route (publié aux États-Unis en 1978), on le suit jour après jour dans sa lente progression en terre inconnue, le voyant évoluer dans un paradis dont il préfère se méfier, car susceptible de donner à son périple, selon les caprices de la météo, les allures d’un stage de survie en milieu hostile. Une méfiance d’autant plus nécessaire qu’il a perdu son épouse un an auparavant, et qu’il se retrouve seul à gérer « de jeunes enfants sans mère ».
En chemin, son œil enregistre tout : le paysage (parfois réduit à un ensemble « de nuages et de neige »), les animaux qui y évoluent librement, les rares passants qu’il croise, accordant à chaque présence le regard émerveillé d’un enfant qui découvre le monde. Un « contact permanent avec les éléments » dont il consigne les moindres détails dans son carnet, sans omettre son alimentation, souvent réduite au strict minimum : du riz, accompagné de petites lentilles (dhal).
Le pays Dolpo lui offre une observation attentive du bharal en période de rut, mais malgré les jours qui passent et les preuves de la présence du félin (des empreintes, le plus souvent laissées dans la neige, accompagnées de fientes et de traces de griffures), il n’a encore aperçu aucun léopard des neiges. Matthiessen refusera jusqu’au bout d’utiliser une vieille chèvre comme appât pour pouvoir photographier ce mythe vivant : « si le léopard des neiges se manifeste je suis prêt à le voir. Sinon (…), c’est que je ne suis pas prêt à cette rencontre. » Il quittera la région sans l’avoir vu, en acceptant « les échecs de ce voyage autant que ses émerveillements ».
Le périple n’est pas la seule matière de ce journal qui s’étire sur un peu plus de deux mois. Tout se passe comme si ce pèlerinage renvoyait davantage Matthiessen à lui-même qu’aux paysages qui l’entourent, et comme si Schaller ne se trouvait pas à ses côtés (les échanges entre les deux hommes n’étant vraiment pas fréquents). L’expédition devient ainsi une sorte de voyage intérieur. Au détour du chemin, sa pensée part, s’arrimant à ce qu’elle trouve à sa portée : le décès récent de son épouse Deborah (sur lequel il revient régulièrement), ou le bouddhisme zen (et avec lui toutes les formes de sagesse orientale). Il y est donc plus souvent question de méditation que du fameux léopard.
Malgré la lourdeur du passé récent qu’il traîne avec lui, Matthiessen s’efforce d’exister « au présent, rien qu’au présent, pour imprégner de cette conscience du maintenant tous les événements de la vie quotidienne ». Et plus loin d’ajouter : « Je suis ici pour être ici, comme ces rocs, ce ciel, cette neige, comme cette grêle qui tombe du ciel ». C’est dans cette attention au présent qu’il trouvera la véritable récompense de son voyage : « on éprouve un grand plaisir à prendre conscience des petites choses ».
Durant ces « deux mois de compagnonnage forcé dans des conditions difficiles », Matthiessen aura renoncé à tout contact avec son monde et son siècle : « ni véhicules, ni médecin, ni radio et encore moins de parachutage de matériel, d’équipes de soutien et autres accessoires des expéditions modernes ». Un détachement qui lui aura permis de se retrouver et de découvrir que « la simplicité est le secret du bonheur ». Pour celui qui accepte de se poser dans les mailles du présent, « l’éternité n’est pas lointaine, elle est ici près de nous ». Ce n’est peut-être pas un léopard des neiges, mais cette découverte justifie à elle seule ce périple. Et pour le lecteur, elle est une belle leçon de vie.

Didier Garcia

Le Léopard des neiges
Peter Matthiessen
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Suzanne Nétillard
L’Imaginaire, 382 pages, 12,90

Une aventure intérieure Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°234 , juin 2022.
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