Un livre

Les Nuits prodigieuses

de Eva Dézulier

Editions Elyzad

Nous sommes en 1940, à Machado, un petit village des Pyrénées à la frontière de la France et de l’Espagne. Seules trois familles y habitent : les Escondit, les Midorre et les Ventanas. Leur univers est fait de consanguinité, de superstitions (en témoigne ce mont dont « on prétend qu’il est si haut qu’en s’y tenant debout, on effleure la plante des pieds des anges ») et d’« ombres de passage ». Ces dernières, ce sont celles des migrant·es qui cherchent à entrer sur le territoire français, traquées sans relâche par la police. Le quotidien suit tristement son cours jusqu’à la rencontre entre Ange, un jeune garçon employé dans la ferme de M. Bartimée, et l’un de ces clandestins. Celui-ci lui confie des plans pour réaliser une mystérieuse machine à aimer, qu’il le supplie de remettre une fois créée à son fils. Et, sur ces entrefaites, le roman prend son envol : « Un fou a inventé une machine à aimer, à aimer sans discernement, sans limite, sans borne, à aimer absolument et infiniment. Un autre fou l’a construite. Elle est passée de main en main. En côtoyant la machine, chacun de ceux qui l’ont possédée s’est senti chéri comme jamais dans sa vie – mais également indigne de cet amour.  »
L’élaboration de la machine, qui pousse Ange à collecter un grand nombre d’objets ne lui appartenant pas, ainsi que ses pouvoirs prodigieux, sèment une confusion sans précédent dans le village. La narration, qui vogue de personnage en personnage, le souligne bien. L’approche naïve et bonhomme d’Ange côtoie la religiosité maladive de Livia, l’épouse de son patron. La violence de Hostien, un garde-frontière tourmenté, s’oppose à la générosité d’Eugenia, qui accueille dans son lit un bon nombre de migrants. Toutes ces voix scandent la fragilité de l’humanité, sa brutalité mais aussi son besoin incommensurable d’amour. Nous rappelant que si « la frontière est dure à ceux qui s’aiment, (…) les fous sont une grande famille ». Un beau livre entre conte magique et fable contemporaine.

Camille Cloarec

Les Nuits prodigieuses
Eva Dézulier
Elyzad, 238 pages, 20,50 €