Avec un titre en forme d’oxymore, les bien-pensants contemporains de Rachilde, en 1884, ordonnèrent en Belgique une condamnation pour obscénité. Le volume n’ayant paru qu’allégé de passages fort érotiques, voici Monsieur Vénus, vêtu de toutes ses pages originelles, ou plus exactement mis à nu comme il se doit.
Raoule de Vénérande est une héroïne paradoxale. Elle inverse les rapports homme/femme, dominant/dominé. Un « être qu’elle méprisait comme homme et adorait comme beauté » est sa maîtresse, nourri au haschich pour en abuser, quand elle est d’une jalousie féroce. Aristocrate excentrique, elle féminise son amant, un ouvrier fleuriste joliment roux à qui elle offre un mécénat intéressé puis le mariage : « Elle forçait Jacques à se rouler dans son bonheur passif comme une perle dans sa nacre ». Le réalisme, la « dépravation » du décadentisme, la riche et sensuelle écriture, torride et cependant allusive, servent l’action vénéneuse à souhait et « le poème effrayant de la nudité humaine ». Un scandale mondain, une fin tragique et vampirique ornent le roman des sensations fortes ; à condition d’apprécier l’association de l’amour et de la violence. L’œuvre de Rachilde, qui écrivit une Marquise de Sade, rappelle furieusement La Vénus à la fourrure de l’Allemand Sacher-Masoch, paru en 1870, d’où vint par antonomase le mot « masochisme ».
Marguerite Eymery (1860-1953) ne devint Rachilde qu’après avoir usé du pseudonyme de Jean de Childra. Héroïne sulfureuse de la Belle Époque, elle était « homme de lettres » fort prolifique, ce qui ne l’empêcha pas d’épouser Alfred Valette, directeur du Mercure de France, dont les locaux lui servaient de salon littéraire en vue. Son héroïne, Raoule de Vénérande, porte son nom comme un drapeau militant, prénom presque mâle, matronyme lubrique, en digne précurseure des aficionados des théories du genre.
Thierry Guinhut
Monsieur vénus
Rachilde
L’imaginaire, 192 pages, 11 €
Poches Monsieur Vénus - Roman matérialiste
juillet 2022 | Le Matricule des Anges n°235
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°235
, juillet 2022.