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Intemporels L’odeur de la musique

juillet 2022 | Le Matricule des Anges n°235 | par Didier Garcia

Dans Corps et âme, l’Américain Franck Conroy (1936-2005) présente l’itinéraire d’un prodige du piano. Un roman à écouter autant qu’à lire.

Alors qu’il n’est encore qu’un enfant de 6 ans, Claude Rawlings est laissé seul toute la journée par une mère chauffeuse de taxi dans le New York de l’immédiat après-guerre (une mère qui était danseuse de music-hall quand elle s’est retrouvée enceinte de lui, sans bien savoir qui pouvait être son père). Pour tromper l’ennui et peupler le silence, le jeune garçon joue sur « un petit piano console blanc, avec soixante-six touches » qui traîne dans l’appartement, et dont le son lui semble « l’envelopper d’une sorte de grande cape protectrice, l’enclore dans une bulle d’énergie invisible ».
Un jour, il se rend dans le magasin de musique voisin, et achète une méthode à crédit à Aaron Weisfeld. Devinant très vite en lui des capacités peu communes, l’homme le prend sous son aile, devenant ainsi son premier professeur.
On voit alors Claude découvrir et apprivoiser son instrument, avec lequel il ne fait bientôt qu’un : « où qu’il se trouvât, dès qu’il s’asseyait au piano, le monde qui l’entourait n’avait simplement plus d’importance. Sa relation physique avec le piano était immuable. Tout le reste était transitoire. Ses repères étaient là. » Grâce aux leçons que plusieurs professeurs attentionnés lui prodiguent (et parmi les meilleurs), il devient rapidement un jeune concertiste « en vogue », courbe ascensionnelle fulgurante qui le mènera jusqu’au Carnegie Hall, scène mythique s’il en est. Une telle progression s’apparente d’ailleurs à un conte de fées : les premiers concerts, les premiers applaudissements, les propos élogieux (on l’assure d’avoir « un avenir prometteur de compositeur », parce qu’il est « le genre de jeune musicien capable de faire avancer la musique »), la rencontre d’un impresario, les duos prestigieux. On a alors l’impression que tout le monde lui veut du bien, souhaite le voir réussir tout en étant disposé à l’aider (il y a à son égard une sorte d’empathie générale).
Il faut d’ailleurs attendre la page 416 pour voir apparaître une ombre au tableau. Elle sort de la bouche du père de sa première amoureuse, quand ce dernier apprend que Claude ambitionne d’être un artiste : « un truc pour femmes » selon lui, « pour femmes et pour pédés ». Des propos méprisants qui resteront sans écho pour celui qui, très jeune, a décidé de consacrer sa vie à la musique, laquelle « ne s’épuisera jamais », et « ne disparaîtra jamais ».
C’est l’histoire d’une vocation et d’une irrésistible ascension que Franck Conroy donne à lire dans ce roman d’apprentissage publié en 1993. On y voit un enfant pauvre promis à une triste existence devenir un jeune homme brillant, véritablement sauvé par la musique (il y a de la résilience chez Claude, mais sans qu’il ait à fournir d’efforts pour cela, la nature l’ayant largement favorisé). Tout se passe d’ailleurs tellement bien pour lui, tellement trop bien pourrait-on dire, que pendant tout le roman on redoute qu’une catastrophe ne vienne enrayer cette belle histoire, ou qu’un simple faux pas fasse tout basculer.
Page après page, le roman progresse avec une fluidité surprenante, sans le moindre accroc, paraissant toujours glisser sur la même vague, comme s’il suivait une partition musicale. Le personnage principal en est d’ailleurs la musique elle-même, celle que produit le piano, ou plutôt celle que les mains expertes de Claude savent lui faire produire (il y a quelque chose de quasiment magique dans cet ensemble de sons que nous croyons parfois percevoir sous les mots). Une musique aux multiples pouvoirs (elle permet par exemple de masquer « le ver de la nausée »), mais qui ne se prête pas facilement aux mots. Claude s’y essaie pourtant : « Lorsque je pense à son atmosphère, à l’effet qu’elle a sur moi, ce qui me vient à l’esprit c’est une odeur. L’odeur des radiateurs à vapeur à la maison, en automne, lorsqu’on les mettait en marche pour la première fois, quand j’étais petit. Pendant une heure ou deux, il y avait cette odeur particulière. C’est cela, la Kreutzer  ». Sa perception n’est pas celle d’un profane, mais celle d’un pianiste qui sait exactement de quoi elle est faite, qui la côtoie de l’intérieur, et qui est capable de la comprendre dans ce qu’elle a de plus intime : « Le son était doux mais plein, plein, avec quelque chose de piquant et d’électrique comme du miel tiède mélangé à du citron. Et incroyablement, presque douloureusement vivant. » Nul doute qu’au sortir de ce roman le lecteur écoutera la musique qui l’entoure d’une oreille différente. Une oreille avertie en quelque sorte, et redevenue presque neuve.
Didier Garcia

Corps et âme
Franck Conroy
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nadia Akrouf
Folio, 704 pages, 10,40

L’odeur de la musique Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°235 , juillet 2022.
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