La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Poésie Vivre, écrire, encore

janvier 2023 | Le Matricule des Anges n°239 | par Thierry Cecille

Il serait grand temps, quarante après sa mort, d’entendre enfin Aragon, de souffler sur les braises pour raviver le feu perpétuel qu’il ne cessa d’être.

Les Adieux et autres poèmes

Le monde un perpétuel jugement dernier » écrit ici le poète qui se retourne sur son passé – et « Ce siècle aura visage de plusieurs Et nous / Les témoins les comparses nous serons jugés / Coupables De silence On nous dira Tes mains / Montre tes mains d’oubli ». Nul doute qu’Aragon aura fait l’expérience, très tôt et durant toute son existence, du jugement d’autrui, des proches comme de la rumeur publique. Dès 1932, il doit subir la vindicte de ses anciens amis surréalistes, menés par Breton, lui reprochant son adhésion au communisme qui fait figure pour eux d’abdication, ainsi que le choix du roman, réaliste qui plus est, qui constitue pour eux un reniement. Après guerre, on oubliera rapidement qu’il fut un résistant, pour le figer dans la posture du chantre du PCF et de Staline. Enfin, après la mort d’Elsa Triolet en 1970, on se gaussera de le voir parader en gandin enchapeauté et parfois même masqué, accompagné de jeunes hommes qu’on s’empressera de dire ses amants.
C’est ce dernier Aragon (chronologiquement s’entend) que nous pouvons en quelque sorte suivre pas à pas durant ces années qui séparent la mort d’Elsa de la sienne, en 1982. Cette réédition (pour la première fois en poche) marque en effet l’anniversaire de cette disparition et donne l’occasion d’écouter attentivement, sans préjugé, avec ce que le temps efface et pardonne, cette voix inimitable. Ainsi que le rappelle Olivier Barbarant dans sa judicieuse préface, on serait tenté de parler ici de ce « style de vieillesse » que théorisa jadis Hermann Broch ou plus récemment Edward W. Said dans Du style tardif. Il s’agirait là d’un « chant du soir » dans lequel « la fluidité » laisserait place « au brisé », le poète n’hésitant pas à faire preuve envers lui-même d’une « bouleversante cruauté ». Mais l’aspect testamentaire et l’ombre obscure – faite de regrets, de remords, voire d’une certaine honte – qui semblent conquérir progressivement la place ne l’emporteront pas en définitive. Le lecteur a le sentiment qu’une sorte de jouvence (comme on parle de fontaine de jouvence) continue à sourdre, qu’une énergie vitale défie la solitude et la mort qui s’annonce, l’énergie de la création et, aussi bien, de l’admiration. Les « autres poèmes » du titre sont en effet consacrés aux peintres qu’il admire, Chagall, Klee, Masson – ou encore Picasso, « celui / qui ne cessa jamais de désirer se perdre (…). A lui perpétuel autodafé de ce qu’il fut ».
La diversité et la richesse formelles témoignent ainsi de cette poésie encore résistante donc. Aux « échardes », espèce de haïkus douloureux ou ironiques (« Il n’est pas de plaie / Qu’un peu de fard / ne fasse bouche »), succèdent des poèmes au rythme lent, solennel, parfois funèbre, usant de ce vers de 16 syllabes qu’Aragon inventa pour son Roman inachevé  : « Le temps qui passe met sur tout son immobile violence. (…) L’histoire même à la prunelle est un effet de persistance ». Parfois c’est la chanson, faussement simple, comme populaire, qui se fait entendre – et nous reviennent à l’oreille les strophes choisies par Léo Ferré ou Jean Ferrat : « L’homme seul n’a pas de visage / Il n’est que vitre pour la pluie / Et les pleurs que l’on voit sur lui / Appartiennent au paysage ».
Mais à travers toutes ces formes des fils savamment mêlés, cousus, se devinent et l’autoportrait, peu à peu, se dessine. Aragon lutte contre l’absence d’Elsa, après quarante ans de vie partagée, à deux inventée et maintenue, et il redoute de n’avoir pas su l’aimer : « Je ne t’aurai donné que ce chant avorté de moi-même (…). Je n’aurai donc été vers toi qu’une phrase sans fin ». Il ne cesse d’être comme happé par cette tombe où elle repose, dans le jardin de leur moulin de Villeneuve, et qu’il ose appeler « le grand lit à deux places où je suis attendu ». L’autre fidélité, obsédante, taraudante, c’est bien sûr celle envers le communisme. Aragon ne se renie pas : s’il y eut erreurs honteuses et méprisables fautes (mais on ne saurait, en ce qui le concerne, parler de crimes), c’est que c’était un «  Age obscur temps blessé siècle cruel à nous  ». Un idéal menait ceux qui avaient le rouge au cœur, les aveuglait parfois : « Nous avons marché marché dans la nuit tournante les yeux vers le sable du ciel / Et l’étoile était pâle à voir pour ceux qui ne savent dormir ». Une forme de sérénité, pourtant, à la fin s’empare de celui qui ne cesse de scruter sur son visage, dans le miroir, « les obliques blessures de la durée » ; il sait en effet que « D’un jour être cendre est malheur du feu ».

Thierry Cecille

Les Adieux et autres poèmes
Aragon
Poésie Gallimard, 248 pages, 9,90

Vivre, écrire, encore Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°239 , janvier 2023.
LMDA papier n°239
6,90 
LMDA PDF n°239
4,00