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Arts et lettres Un alchimiste du désir

avril 2023 | Le Matricule des Anges n°242 | par Richard Blin

L’édition d’un ensemble d’écrits de Hans Bellmer (1902-1975) nous permet de découvrir les arcanes d’une œuvre au magnétisme insolent et subversif.

Quand il s’installe à Paris, en 1938, Hans Bellmer a 36 ans. S’il a décidé de quitter Berlin, c’est pour fuir le régime nazi et passé à autre chose après la mort de sa femme, emportée par la tuberculose. Et s’il y est bien accueilli par le milieu surréaliste, c’est qu’il y arrive précédé de la renommée de sa « poupée », dont la première ébauche date de 1933, l’année de l’arrivée au pouvoir de Hitler. Refusant le fascisme, il a alors pris la décision de cesser tout travail utilitaire et de se consacrer à la fabrication d’une « fille artificielle ». Il avait reçu quelques mois plus tôt deux caisses, envoyées par sa mère, pleines d’objets de son enfance. Étaient alors revenus l’exaltation et le merveilleux d’une période où, pour oublier le mode de vie austère imposé par son père, il se réfugiait souvent dans un univers imaginaire tout en partageant ses jeux avec des filles du voisinage. Hanté par le retour de ce « domaine rose », et par le lancinant souvenir de tout ce qu’il n’avait pu apprendre d’elles, il eut alors « l’idée – et de suite – l’enthousiasme de vouloir faire une fille artificielle ».
Deux textes, « La poupée » et « Les jeux de la poupée » disent les petites filles, leur côté tape-à-l’œil et trompe-l’œil, et leur inaccessibilité. « À coup sûr, les petites filles n’étaient pas rassurantes. À peu de frais, par un tressaillement fortuit de plissés roses, elles vous changeaient en une sorte quelconque de garçon à pantalons sombres et à souliers ternes. » La poupée vient donc de la nuit de l’enfance et du souvenir de la tyrannie et de l’exigence paternelles (qui lui avaient cependant permis d’acquérir une formation d’ingénieur). Objet protestataire autant que provocant – « Elle rend les joues plus pâles et l’herbe plus cruellement verte » disait Paul Éluard –, la poupée permet à Bellmer de se détourner de l’âpreté du réel en trouvant refuge dans un monde de rêverie baigné de merveilleux. Retournant sa nostalgie des jeux d’enfant et de leurs suggestions érotiques, il en fait l’instrument d’une réflexion inédite sur le corps, et la source d’une énergie qu’il met au service de la création d’une poupée infiniment manipulable, transformable à souhait grâce à la « jointure à boule », un dispositif d’articulation hérité de Gerolamo Cardano, un savant italien du XVIe siècle. « Ne serait-ce pas le triomphe définitif sur les adolescentes aux grands yeux qui se détournent si, sous le regard conscient pillant leurs charmes, les doigts agressifs assaillaient la forme plastique et construisaient lentement membre à membre, ce que les sens et le cerveau s’étaient appropriés. »
Parallèlement, Bellmer pousse toujours plus loin, par le dessin, les limites de son imagination érotique. En 1957, il produit son texte de référence : La petite anatomie de l’inconscient corporel ou l’anatomie de l’image. Tentative de désoccultation passionnée du conflit opposant le désir et l’interdit, il y défend l’idée que « tout objet identique à lui-même reste sans réalité », qu’un « pied féminin, par exemple, n’est réel que si le désir ne le prend pas fatalement pour un pied » mais pour un lieu d’excitabilité où se focalisent toutes les tensions, où s’ancre une réalité autre conjuguant création, désir et amour. Où l’imagination trouve ce qu’elle cherchait de joie, d’exaltation et de peur. Où, semblable à une phrase, le corps vous inviterait à le « désarticuler, pour que se recomposent, à travers une série d’anagrammes sans fin, ses contenus véritables ». L’anagramme devient ainsi la clé d’une « poésie expérimentale » où les mots comme les images du corps offrent les mêmes possibilités de construction/ déconstruction. « Je mélange la pensée objective et froide avec des caprices et secrets d’ordre poétique. »
De façon analogue le dessin peut utiliser la forme des fesses pour figurer des seins, et les épaules peuvent avoir le contour des hanches. D’où des dessins donnant corps à tout ce que nous refoulons, c’est-à-dire aux promesses les « plus prestigieuses de la sexualité et de l’amour ». Dessins, d’une précision d’anatomiste, qui déplacent, confondent, superposent les organes jusqu’à la fusion des sexes, créant de fabuleux androgynes ou de fanstasmagoriques créatures donnant corps à l’improbable. Une nécessité de voir, qui va jusqu’au vertige de la réversibilité – montrer l’intérieur des corps – et qui participe de l’intérêt de ces textes en quête de ce rien qui manque au visible, et qui est au fondement du désir d’art.

Richard Blin

Le Corps et l’anagramme
Hans Bellmer
Édition établie et présentée par Stéphane Massonet
Préface de Bernard Noël
L’Atelier contemporain, 248 pages, 17 illustrations, 25

Un alchimiste du désir Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°242 , avril 2023.
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