La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Poésie L’ombre d’un autre monde

novembre 2024 | Le Matricule des Anges n°258 | par Richard Blin

Dans des poèmes où l’âme se mélange au paysage, Esther Tellermann poursuit son long dialogue entre le visible et l’invisible.

Concis, anguleux et comme émietté dans sa verticalité constitutive, le poème, chez Esther Tellermann, se compose de vers courts, d’un à trois mots le plus souvent. Il cascade de ligne en ligne, avec des décalages et des fractures, en un mouvement qui tient autant de l’essaimage que de la chute. Ni stèle ni totem, donc, mais plutôt le déploiement, dans l’espace de la page, d’un geste rythmique et sensuel. Geste poétique qui métamorphose en signes, sons et rythme des fragments du vivre – des corps, des odeurs, des sucs, des souvenirs, des paysages – que la langue mêle à la mémoire qu’elle porte. Et c’est tout un passé qui resurgit, ouvre le présent de l’énonciation à un espace-temps où résonnent les échos de chants anciens ou de légendes redonnant paroles aux disparus et revivifiant leurs actes et leurs cendres. « Car ils voulaient / atteindre / la source / avec la floraison / le collier de corail / sous la chaux / la brindille / chaque écueil et / chaque faille. / Rafales de légendes / maintenant vous / criblent / endorment le chagrin. »
Superposition d’espaces, plongée dans l’en deçà du visible, traversée du temps et voyage dans les terres cachées de ce qui défaille à dire, la poésie d’Esther Tellermann distille une musique secrètement envoûtante. Peut-être parce que son poème naît d’un décentrement qui la dépossède de son ego et l’ouvre à l’accueil de temps enfouis dans l’oubli et l’évanescence de signes. D’où la pulsation d’émoi et d’amour qui anime son poème, fait surgir l’inattendu, et lui donne son caractère énigmatique. « Pouvons-nous encore / avec / le liseron / l’agave / et ce qui n’est / pas nous / caresser des paupières / des lèvres / qu’effleure / l’autre monde / garder la ciselure / et le galbe / échanger / les architectures ? »
Dans chaque poème ou presque il semble que tremble quelque chose qui ne peut être dit. Dans un monde où s’est généralisé un état de guerre extrême – pour reprendre le titre d’un des livres de l’auteure (Flammarion, 1999) – et d’où les dieux se sont enfuis, Esther Tellermann traque les traces de ce qui fut. Elle le fait en voyageant, en traversant l’Histoire et les frontières, en s’immergeant dans différents espaces-temps d’où naissent ses poèmes. Totalement ouverte à ce qui advient, il lui suffit d’une couleur, d’une lumière, d’un geste pour que s’établisse entre ce qu’elle perçoit et la matière langagière, une sorte d’arc électrique d’où naît la fulgurance d’un vers donnant voix à ce qui vient de se nouer entre le perçu, la mémoire et l’inconscient. Un vers, un rythme allant à la rencontre de l’inconnu, mariant elliptiquement le lointain au proche, rapportant ce qui est donné à ce qui échappe. « Il y a longtemps / nous fûmes / avec la chevelure / et le serpent. / Nous avions inventé / des fables / superposé / les promesses / célébré l’alliance / voulu peindre / l’encre et la rose. »
Chaque livre d’Esther Tellermann est un voyage aux sources, dans les régions mythiques des sensations originaires ou dans des lieux surgissant et disparaissant au gré d’une géographie mentale en quête d’une Terre exacte (Flammarion, 2007). Voyage dont chaque poème dit l’épopée, celle d’un corps traversé par la langue, celle du temps transmué en présences, celle aussi des brûlures inassouvies du désir, celui que partagent Héléna, Ariane, Ophélie, Béatrix, qui comme autant de sœurs dans l’universel de l’imaginaire immémorial incarnent la violence déchirante des sentiments et la guerre amoureuse. Poèmes qui donnent figure à l’Autre, cet autre qui fait être et qui, sous la forme d’un « tu  » ou d’un « vous » de majesté, est la personne qui guide, qui infléchit ou incarne l’impossible objet d’amour. Et ainsi, c’est la vérité de ce qui lie et sépare qui se donne aussi à entendre. « Entends / un espace résonne / en l’autre / et rend ce qui lui est dérobé / par l’écho. / Entends / les espaces qui / reviennent / l’ampleur / d’un son avec / les volutes / de l’appel / et de l’oubli. » Poèmes hantés par le manque, poèmes conjuguant les temps croisés de l’étreinte et de la perte. Poèmes enfin qui s’édifient souvent autour du vide d’un questionnement sans réponse ou de l’appel à un sens qui n’existe pas. Qui dressent, aux confins du presque rien et du terrible, l’énigme de leur beauté cherchant à séduire l’innommable.

Richard Blin

Selon les sources, d’Esther Tellermann, Flammarion, 132 pages, 20

L’ombre d’un autre monde Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°258 , novembre 2024.
LMDA papier n°258
7,30  / 8,30  (hors France)
LMDA PDF n°258
4,50