Un livre

Qadir et Coralie. Une love affair dans la jungle afghane

de Veronika Boutinova

Editions Ver à soie

Peut-on faire de la bonne littérature avec de bons sentiments ? Veronika Boutinova, qui vit entre Lille et Calais, documente et raconte, depuis des années, la situation des exilés à Calais. Elle prouve, avec Qadir et Coralie, roman sous-titré « Une love affair dans la jungle afghane », que, oui, c’est possible, malgré quelques faiblesses. 
Le oui, trois fois oui, d’abord. Dans ce roman choral, où de multiples protagonistes prennent la parole successivement, l’autrice crée avec subtilité une langue mélangée, faite de bouts de français, de fragments d’anglais, de fautes et d’inversions, aussi jolies que poétiques. « Il était minuit à peu près (…) Un long silence s’est crispé. (…) Noé m’a demandé si je n’avais pas la peur. Non, je n’ai pas trop. Cessez votre cœur ravagé, vos tripes torturées pour moi », dit Qadir, jeune Afghan, échoué dans la djangâl (ce qui était, en 2009, la jungle de Calais, avant son démantèlement violent). La mère de Coralie est médecin, elle soigne les exilés. Et s’inquiète de voir son adolescente tomber amoureuse du jeune homme.
En ville, ça se tend entre les pro et les anti. « Les gens qui mettent des affiches sur les fenêtres de leur maison : « Ici je donne ASILE aux personnes dans la migration », (…) les autres qui incitent les xénos à aller casser les vitres des bénévoles. »
Tous les exilés veulent rejoindre la Grande-Bretagne. Saryas, l’ami durant tous les périls, confirme. « Qadir devait partir avec moi, c’était écrit, inch’Allah alea jacta est, et fuck le reste ! »
Les quelques faiblesses du texte, on peut les pardonner. Une lycéenne apprécie une intervenante scolaire (clairement la double de l’autrice) et admire : « ses choix d’œuvres, la manière dont elle liait le contenu des ouvrages littéraires avec notre vécu. » Ça ressemble plus à une note d’intention pour l’académie de Lille qu’à la parole spontanée d’une ado. Mais le roman est tellement touchant qu’on oublie cela et qu’on retient, ému, l’histoire de ce jeune couple transfrontalier dans la djangâl.

Anne Kiesel

Le Ver à soie, 126 pages, 18 €