La tautologie obsède un certain nombre d’écritures poétiques contemporaines. « Dire d’une chose qu’elle est identique à elle-même, c’est ne rien dire du tout » : à partir de la réflexion de Ludwig Wittgenstein, Emmanuel Hocquard s’appuie sur l’énoncé d’identité pour, neutralisant toute notion de représentation, créer les conditions d’une poétique de l’acquiescement. Christophe Tarkos quant à lui, fonde son écriture sur l’insistance tautologique dont son livre manifeste, Signe =, dit bien l’enjeu : fondre le signifiant dans le signifié en une pâte sonore mixant les mots et les choses, renoncer à ce désengluement du réel qu’autorise la fonction symbolique du langage.
Au croisement de cette logique tautologique et du geste répétitif et circulaire de la poésie sonore, Christophe Fiat pratique une poésie basée sur le cut-up et le remix litanique d’énoncés empruntés aux médias, au cinéma, aux clichés de l’époque.
Ainsi, New York 2001 reprend-il en boucle, en les permutant selon de multiples variations sérielles, des séquences syntaxiques ou visuelles empruntés aux médias autour des attentats du 11 septembre, en les mélangeant à des fragments d’images issus notamment de 2001, l’odyssée de l’espace, des propos de Merce Cunningham ou d’une comédie musicale de Kurt Weil. Disons-le d’emblée, pour qui aura pu s’émouvoir des lectures performances de l’auteur, où ses ritournelles trouvent toute leur efficacité, ce texte tombe un peu à plat. Machine célibataire, il s’autoproduit un peu mécaniquement parfois. Mais revendiquant ce fait sans doute, Christophe Fiat propose à son écriture la figure du virus : « EN TANT QUE PROPAGATEUR D’ADN/ EN TANT QUE CONSOMMATEUR DE REPRESENTATIONS ».
La production hollywoodienne contaminant la représentation médiatique, l’effondrement du World Trade Center est un poème à lui seul, dont l’écriture n’approche la puissance de déflagration qu’en perturbant ses connexions. Le temps et l’espace se diffractent, pour tenter de dire quelque chose de l’ordre de la catastrophe. « Where was King Kong when we need him ? », demande un poème écrit en pleine page. Il n’y a pas, selon la logique désorganisatrice du virus, de programme fixe à imposer. La donner à entendre, comme le fait Christophe Fiat dans ses performances, c’est augmenter ses effets d’accumulations, de brouillage, de saturation du sens enclenchant des perturbations émotionnelles ou sensitives.
Dans les constructions en miroir et reflets, le narcissisme ne guette-t-il pas cependant, figeant parfois le processus en des effets de modernité un peu faciles ? Mais c’est peut-être là que se joue toute l’ambiguïté de cette « modernité répétitive » : dans son refus (ou son impossibilité) de rentrer dans l’ordre symbolique, elle prend le risque soit de la fascination mortifère sur le retour du même, soit d’une ouverture, dans l’insistance de sa circularité, à d’autres dynamiques de signification. Oscillant entre ces deux pôles, New York 2001 accepte un scénario catastrophe, osant pour son écriture même la perspective du « ground zero », se risquant à ne rien dire du tout pour donner à ressentir quelque chose de l’ordre d’une expérience.
New York 2001
Christophe Fiat
Al Dante
105 pages, 15,25 €
* Vient également de paraître un essai du même auteur, aux Éditions Léo Scheer : La Ritournelle (171 pages, 13 €)
Poésie King Kong, le retour
juin 2002 | Le Matricule des Anges n°39
| par
Xavier Person
Poète performer, Christophe Fiat continue l’écriture répétitive et circulaire de la poésie sonore. Il réagit dans New York 2001 aux attentats du 11 septembre.
Un livre
King Kong, le retour
Par
Xavier Person
Le Matricule des Anges n°39
, juin 2002.