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Éditeur Mises en bouche

novembre 2013 | Le Matricule des Anges n°148 | par Philippe Savary

Éditrice de littérature et de poésie, Catherine Flohic prolonge son appétit de curiosité en ouvrant sa discrète maison à des textes sur les saveurs, la création gastronomique et l’alimentation.

Un grand chef étoilé qui compose son plat comme un roman, « avec un plan, une structure, des personnages, une ambiance ». Un voyageur solitaire qui débusque l’amertume sur les tables d’Italie. Des histoires d’ail, cet aliment du peuple, dans lequel Artaud « voyait un remède contre le “tétanos de l’âme” ». Il est aussi question d’huile d’olive, de saké, de viande chevaline, de nourriture vaporeuse (Manger fantôme, très beau texte de Ryoko Sekiguchi), autant d’objets d’étude prétextes à des déambulations intimes, culturelles, érudites et gustatives.
Voilà deux ans que la collection « Vivres », dédiée aux goûts et aux saveurs, alimente le catalogue d’Argol. Des exercices d’admiration, légers et insolites. Des textes hybrides. Pourquoi s’en étonner ? Pédopsychiatre de formation, Catherine Flohic aime déstabiliser les genres littéraires et promouvoir les écritures sur le motif. Sa maison d’édition multiplie le hors-piste : ici la libre rencontre d’un écrivain avec un peintre (collection « Entre-deux »), là des entretiens au long cours avec des écrivains majeurs (« Les Singuliers », de Michel Butor à Valère Novarina).

Votre collection « Vivres » a démarré avec Un principe d’émotions, un livre d’entretien avec le grand cuisinier Pierre Gagnaire. Quelle a été l’importance de ce premier titre ?
Je n’ai jamais oublié l’émotion d’un déjeuner dans son restaurant à Saint-Etienne en 1994 où m’avait invité un ami. J’ai gardé le souvenir de découvertes gustatives inouïes, de ruptures et de douceur, un choc définitif. J’avais conservé depuis une grande curiosité sur sa personnalité et sa cuisine que tout le monde s’accorde toujours, vingt ans après, à définir comme remarquablement innovante.
Je pensais que Gagnaire – j’ai effectivement pu le confirmer en le rencontrant – avait une langue culinaire à lui. Nos rencontres ont duré presque quatre ans. J’ai tout exploré sur le parcours, le quotidien pour arriver enfin aux questions de la recherche, le geste (comme écriture) et la pensée artistique (comme création) en cuisine, et explorer l’esthétique du goût. L’Organe du langage c’est la main, selon le titre de Valère Novarina. Pour Gagnaire, c’est exactement ça… J’ai rapporté de cette aventure de grands moments – des entrées dans la pensée de la conception des plats, ce qui paraît si prosaïque –, pour moi parfois comparables aux paroles des écrivains et poètes que les livres des « Singuliers » révèlent, ou à celles des artistes plasticiens que je questionnais dans ma première vie pour une revue d’art contemporain.
Pendant ces années, j’ai cherché des livres qui pouvaient m’accompagner dans ma réflexion sur les goûts, les saveurs… Il y avait bien des essais, des communications universitaires, mais rien ou peu de contemporains aussi écrits, inventifs et informatifs que des grands textes du XIXe siècle comme ceux de Brillat-Savarin ou Grimod de La Reynière. J’ai donc décidé, comme j’aime le faire, d’inventer pour moi les...

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