Il y a les complaisants – avec la violence, l’horreur, les tripes et l’hémoglobine –, et puis il y a les doux – les blessés, les fragiles, les rêveurs. Valerio Varesi auteur de polars et son héros récurrent le commissaire Soneri sont tous deux de la trempe des cœurs purs, ou du moins, ils essaient. Or, encens et poussière, cinquième titre traduit en français, se déroule en douceur dans une atmosphère ouatée, déliquescente, celle qui fait la marque de fabrique de l’écrivain italien formé à la philosophie. Comme dans Le Fleuve des brumes (2016), première des aventures de Soneri, un brouillard épais, tenace, recouvre Parme. Personnages et paysages sont floutés, deviennent fantomatiques, comme hors du temps. Mystères et secrets s’y déploient à plaisir. Le roman s’ouvre sur une scène d’apocalypse, absurde et poétique, digne d’un Fellini : nuit et brouillard ; un accident sur une autoroute ; des véhicules encastrés ; des taureaux échappés d’un camion ; un camp de gitans non loin de là ; des rôdeurs et des voleurs qui profitent de l’aubaine ; et dans ce fatras, des flics et des ambulanciers déboussolés. Quand Soneri, tous sens en alerte, découvre un cadavre calciné, étrangement abandonné dans ce chaos, le justicier n’a d’autre choix que de chercher à comprendre. Comme d’habitude, il avance à l’instinct et fait confiance aux coïncidences… quitte à se méprendre. Ainsi espère-t-il redonner dignité à ce corps inanimé. Une victime ne serait-elle pas toujours innocente ?
Lyrique et doux-amer, Valerio Varesi écrit en noir et blanc, force les contrastes et superpose images et paraboles – la brume et les interrogations métaphysiques. Il scrute les contradictions de son personnage, un tantinet libertaire mais amant possessif. Il pourrait être le nouveau Fabio Montale, l’ex-flic marseillais imaginé par Jean-Claude Izzo. Soneri, c’est le charme discret des anti-héros : son attitude un rien mélancolique (« La solitude ne lui avait jamais fait peur, il était comme les chats. ») ; ses doutes ; ses embrasements amoureux ; ses errements autant que ses convictions (« Personne n’est d’un seul bloc. On prend tellement de formes, on est comme le brouillard. ») ; sa passion de la bonne chère, anolini au bouillon, vin et cigare ; sa dévotion pour l’innocence ; ses colères contre l’hypocrisie, le mensonge, l’arbitraire. Et ses soupirs de lassitude : « Il eut soudain la nostalgie des ouvriers en bleu de travail (…) qui rentraient à vélo, quand les usines faisaient encore partie de la ville au lieu d’être à dix kilomètres. » Parme, sa ville défigurée (comment s’habituer à la laideur ?), sacrifiée qui se replie et se ferme à l’étranger – gens du voyage et migrants, tous boucs émissaires.
Valerio Varesi parvient à réconcilier chez son personnage la naïveté de la jeunesse et le pessimisme de la vieillesse. Par la voix d’Angela, la fougueuse fiancée, l’écrivain fait à son héros une déclaration d’amour : « Avec toutes les horreurs que tu vois, tu regardes le monde avec un réalisme désespérant mais tu ne renonces jamais à penser en rêveur. Ou en môme. »
Martine Laval
Or, encens et poussière, de Valerio Varesi
Traduit de l’italien par Florence Rigollet, éditions Agullo,
298 pages, 21,50 €
Zoom Le charme des brumes
juin 2020 | Le Matricule des Anges n°214
| par
Martine Laval
Où l’on retrouve le débonnaire commissaire Soneri et ses interrogations douces-amères sur la vie, le monde. Atmosphère, atmosphère.
Un livre
Le charme des brumes
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°214
, juin 2020.