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Une éducation sensible
Lmda N°255 Revenant sur ses années d’apprentissage, sur la découverte progressive d’une histoire familiale désordonnée, Frédéric Valabrègue dresse le portrait d’une femme libre et forte. Il faut un certain temps au lecteur pour saisir à qui se rapporte le nom qui tient lieu de titre au nouveau roman de Frédéric Valabrègue. Récit autobiographique, Nina Violetti évoque d’abord une éducation religieuse chez les Dominicains auxquels le narrateur et ses frères sont confiés par des parents (la mère et l’oncle plus exactement) athées. Une mise en internat vécue comme une mise à...
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Domaine étranger Panser par les gouffres Le deuxième volume de la trilogie autobiographique de Daniele Mencarelli est un condensé de détresse, d’empathie et de pudeur. Bouleversant. Après Nous voulons tous être sauvés (Globe, 2022), qui retraçait l’hospitalisation de l’auteur en soins psychiatriques, nous retrouvons Daniele Mencarelli quelques années plus tard, en mars 1999. Il a désormais 25 ans et les difficultés se sont accumulées sans lui laisser de répit. « Jusqu’à l’âge de vingt ans, j’ai réussi à tenir à distance le regard que le sort m’a donné », résume-t-il. Le regard, c’est ce mélange de fatalité, de...
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Domaine français Des vies vécues Avec finesse et acuité, Milène Tournier tisse en cent fragments le portrait de la vie des gens au plus près de leurs folies et drames intimes. Qu’est-ce qui compose une vie, qu’est-ce qui la résume ou en contient l’essence, lui donne sa forme ou son anarchie, son ton et sa couleur ? Tirer de la multitude des êtres des villes et de leur observation quelques indices et, à partir de ces éléments fuyants (un geste, un vêtement, une obsession), extrapoler ce qui pourrait être le drame implicite d’une vie – dérisoire et dès lors tragique –, voilà ce qui semble avoir motivé l’écriture de...
Chronique
En grande surface
En grande surface
par Pierre Mondot
Les pieds dans le thrène
Romain Chevaillier publie aux éditions Grasset un essai dont le titre interpelle : Les Jeux olympiques de littérature. On croit d’abord à une galéjade, mais non : de 1924 à 1948, les arts prirent place parmi les disciplines olympiques au même titre que l’escrime ou le water-polo. Il n’en faut pas davantage pour que l’imagination s’emballe. On se représente deux poètes sur un ring, engagés dans un combat au meilleur des cinq strophes ; avec au milieu un arbitre, prêt à sanctionner un vers irrégulier ou une rime faible tandis qu’au pied des cordes, une tablée de juges austères enregistre...
Le Matricule des Anges n°254
un auteur
Copi
Chronique
Traduction
Traduction
Carole Fily*
Un zèbre dans la guerre de Vladimir Vertlib
Comment traduire en français un roman allemand écrit par un Russe ? C’est toujours la question que je me pose avant de commencer un texte de Vladimir Vertlib1 ; j’ai encore dans l’oreille ces mots que m’avait glissés l’éditrice en me confiant la traduction de son premier roman : « Vertlib écrit en allemand, mais c’est avant tout un conteur russe. Alors écrivez du russe. » Si L’Étrange Mémoire de Rosa Masur a souvent été qualifié de « roman russe », du fait, entre autres, que l’intrigue se déroule en Russie, cette dernière, bien que jamais nommée, est également très présente dans son...
Le Matricule des Anges n°250
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Domaine étranger Ce qui ne passe pas La Série Noire réédite Brouillard sur Mannheim, très intelligente investigation au bord du Rhin et au cœur de l’Histoire. Alors professeur de droit public, Bernhard Schlink publie en 1987 son premier roman, écrit en collaboration avec son ami traducteur Walter Popp : Selbs justiz au titre ambigu – on peut entendre « faire justice soi-même » aussi bien que « la justice de Selb ». Selb, à savoir Gerhard Selb, « le charme éventé du vieil homme », 68 ans, ex-procureur reconverti détective privé : ici, dans le premier volet de la trilogie que Schlink lui consacre, à...
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Poésie Retour au pays lointain Anthony Phelps nous révèle la geste mémorable de son île, tout autant que son chant de résistance. Un verbe d’une grande modernité. Voix majeure de la littérature haïtienne, Anthony Phelps est l’auteur d’un poème, intitulé Mon Pays que voici, qui aura circulé de manière illicite durant la dictature imposant à ce pays une terrible censure. L’écrivain le rappelle lui-même : « L’atmosphère de terreur nous a forcés, en quelque sorte, à nous rapprocher de plus en plus de l’essence même de la poésie. » Ici, le lyrisme l’emporte, la beauté de la langue d’Anthony Phelps n’est...
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Histoire littéraire Tours, rites et dingueries Le Britannique Mervyn Peake a signé avec la Trilogie de Gormenghast l’un des classiques majeurs de la littérature d’imagination du siècle dernier. À l’heure de saluer l’écrivain Patrick Reumaux qui a disparu le 17 janvier dernier, la reparution de sa traduction du chef-d’œuvre inclassable de Mervyn Peake (1911-1968), la Trilogie de Gormenghast, semble l’hommage le plus retentissant que le monde culturel français soit capable de lui rendre. Si la presse est silencieuse à propos de la mort du traducteur, il se peut que le Titus d’Enfer de Peake recueille les suffrages de jeunes critiques...
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Théâtre Les complots, c'est un complot ? Avec Ravissement, étonnant thriller-documentaire, Lucy Kirkwood décrit les mécanismes qui mènent au conspirationnisme. Avant même que Ravissement commence, des « Notes sur la production » nous indiquent que « La pièce doit être promue sous une identité différente. Par exemple : Rapt de Lucie Boisdamour. » Nous trouvons également dans la liste des personnages, l’autrice elle-même, « Lucy Kirkwood », mais également « la vraie Lucy Kirkwood (LK2) ». L’autrice cherche visiblement à brouiller les pistes, entre le vrai et le faux. Puis la pièce débute avec un...
Égarés, oubliés
par Éric Dussert
À pas lents vers l’horreur
Cinéaste, romancière, directrice de théâtre de marionnettes ou peintre, Lorenza Mazzetti connaissait assez la mort pour célébrer en toutes choses les beautés du monde.
Le cœur de Lorenza Mazzetti aura toujours balancé entre le cinéma et la littérature. Mais l’Italie, pourtant berceau de Cinecittà, ne laissait guère aux femmes le premier rôle durant l’immédiat après-guerre. Elle eut sans doute l’opportunité de se tourner vers le roman, ou le récit masqué, mais puisqu’elle était finaude, trouva à émigrer au bon moment à Londres lorsqu’elle eut l’intention de tourner. C’est ainsi qu’en 1956, Lorenza Mazzetti constitua même le recours britannique au festival de Cannes. Sans elle, déclarèrent les Cahiers du cinéma du mois de juin, « L’Angleterre aurait connu...
Le Matricule des Anges n°241