L’engagement de l’écrivain ? : « L’écriture est le travail politique par excellence. C’est un travail sur la langue et sur le monde. Donc sur la vérité. Actuellement, il y a un discrédit qui est jeté sur ce politique et de façon presqu’uniforme. C’est dangereux. Les hommes politiques sont malades du langage parce qu’ils ont réponse à tout. Une réponse immédiate à tout. Il n’y a aucune vérité de présence dans leur parole. On le voit avec Sarajevo. L’écrivain, c’est l’inverse de cela. Il parle en son nom propre. Il donne une information sur le monde, irremplaçable, parce que c’est la sienne, à un tel moment, de tel jour, de telle année, de telle seconde. »
La lumière ? : « Avant la chose, c’est le mot qui importe, qui aimante. En tant que mot, il existe déjà pleinement. Comme si ce mot, lumière, sous la page, commençait à donner quelques lueurs, et brûlait.
Euphoniquement, ce mot est magique. Il est beau. C’est un des rares mots qui donne ce qu’il est. Qui amène ce qu’il désire… ça commence comme ça… je le trouve magnifique à voir sur une page. Il est antagoniste à celui d’encre. J’aime le prononcer, le faire venir, jusqu’à l’obsession. Trop, trop même, peut-être. Mais aussi souterrainement, parce que la vue et l’écriture sont associées, vivent une vie conjugale, jour et nuit. Ecrire et voir, c’est pareil. Et pour voir, il faut la lumière. Le paradoxe, c’est qu’on peut trouver de la lumière dans le noir de l’encre. C’est comme de la nuit sur la page, et c’est là-dedans qu’on y voit clair. »
Le succès ? : « Ça facilite la vie matérielle pour un temps. C’est le luxe énorme de pouvoir disposer de son temps. C’est une chance. C’est même un danger : oublier que pour la plupart des gens ce n’est pas le cas. Mais je sais que si j’oublie ça, mon écriture va se détruire, se corrompre. M’éloigner du monde, oui, l’oublier, non. Le succès, je ne suis pas sûr que ce soit pour tout le temps. C’est comme des portes qui s’ouvrent et qui peuvent très bien se refermer sur vous. La haine, la jalousie m’arrivent parfois de façon un peu épuisée, de Paris surtout. La haine chemine à pied, elle est très besogneuse, très patiente, elle est un peu fatiguée quand elle me parvient. Je la vois passer ici ou là, dans des articles. Je trouve ça normal. Des textes qui produisent des effets contraires ne sont peut-être pas parfaits, mais au moins, ils existent. Je craindrais plus une louange uniforme. L’accueil amical peut être aussi dangereux que l’accueil hostile. »
L’éloignement du monde ? : « C’est comme une bulle qui fait tourner les trois mots, silence, solitude, amour, comme des toupies, dans un petit format précieux. Une raréfaction est mise dans chaque phrase comme un moment de lumière extrême, tentation d’en finir, de tendre au maximum, pour passer à autre...
Dossier
Christian Bobin
Les miettes de Bobin
décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°6