Voici une première tentative romanesque assez déroutante. Séduisant parfois, irritant quelques fois, Adrienne ou la liberté donne l’impression d’avoir été composé dans ses propres marges, de n’exister qu’en dehors de soi. Comme si l’écriture avait été le fruit d’une colonie de mites qui auraient choisi, assez arbitrairement, de ne consommer que certaines phrases du roman. Il reste de quoi comprendre ce dont il s’agit (il faut une heure et demie pour lire le livre qui ne présente aucune difficulté) sans pour autant pouvoir investir les personnages de cette histoire. L’argument est simple. Adrienne, prostituée et ange pasolinien, est hébergée par Geneviève, femme d’un architecte qui endosse le rôle de narrateur. La jeune femme s’installe chez ce couple très bourgeois où le vouvoiement est de rigueur. Très vite, pour notre narrateur tiédasse, cette nouvelle venue représente un élément déstabilisateur aussi inquiétant que séduisant. D’autant plus que les deux femmes jouent très vite l’antienne de la complicité féminine et que, avec une lucidité digne d’un ministre de l’intérieur en période d’attentats terroristes, l’architecte se rend compte que sa femme, par le biais d’Adrienne, lui exprime son insatisfaction.
Disons-le toute de suite, la réussite du roman réside autant dans l’ombre portée sur Geneviève que dans la piètre opinion que l’on se fait du narrateur.
L’échec, lui, vient de ce personnage d’Adrienne, fausse sauvageonne qui enfile des réflexions assez vaseuses sur la liberté avec le ton d’un bachelier à l’oral.
Dans cette difficulté à construire ses personnages, Robert Détry se sauve par une écriture qui sait parfois trouver le mot juste. Mais la volonté de « faire » de la littérature et les envolées lyrico-poétiques qui parsèment le roman (« la mère et la fille se ressemblaient comme deux pétales et leur commune sève éclatait en bourgeons orageux ») contredisent le travail de distanciation auquel semble s’être attelé l’écrivain.De même, le narrateur ne nous épargne pas certains clichés. Ainsi lorsque Adrienne s’emploie à jouer les femmes de ménage : « La montée sur un escabeau pour dépoussiérer l’étagère devenait poème baroque. » Image bourgeoisement machiste de la femme, issue d’une pauvre imagination, que l’on aura la précaution d’attribuer au seul narrateur.
Robert Détry a écrit un roman iceberg où l’essentiel semble masqué. La partie émergée, simple glaçon, reflète parfois de beaux éclats.
Adrienne ou la liberté
Robert Détry
Viviane Hamy
80 pages, 69 FF
Domaine français Ni ange, ni démon
novembre 1995 | Le Matricule des Anges n°14
| par
Thierry Guichard
Un livre
Ni ange, ni démon
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°14
, novembre 1995.