- Entretien « Je veux juste défendre une émotion »
- Papier critique Regards d’en haut
- Présentation Régine Detambel, la vie d’une enfant stakhanoviste
- Entretien Du jeu au je : apprendre à se découvrir
- Autre papier Un monde en ordre
- Autre papier Bris de verre et d’enfance
- Autre papier Ecritures abandonnées
- Bibliographie Bibliographie
Rassemblant une vingtaine de courts textes publiés dans le quotidien L’Avvenire, Rez-de-chaussée pourrait être le carnet de bord d’un naufragé, qui, échoué sur un bout de terre des antipodes, commenterait les bruits du vaste monde pour se tenir compagnie. Erri De Luca a de bonnes jumelles et l’esprit critique. Il promène sa plume au petit bonheur, à travers les horizons et le long des rivages, vérifiant si par hasard quelque chose s’y accroche. Elle s’arrête souvent sur des terres connues (Naples l’orgueilleuse, un chantier de construction, Mostar et sa solitude, quelques mots d’hébreu), elle s’autorise parfois quelques libertés (éloge de la chasteté, critique de la transplantation d’organes, des politiques…). Le propos est sentencieux, presque irritant pour le lecteur avant que le poids des arguments et la finesse des jugements présentés balaient les réticences. Erri De Luca voit le monde de sa propre fenêtre. Il présente des images que chacun semble connaître. Il fournit seulement le négatif pour mieux se rendre compte des ombres et des imperfections du document. La noblesse de son style vient peut-être de là. Ces instantanés, on les retrouve aussi dans En haut à gauche. Ce deuxième livre est une suite de souvenirs fragmentés, carte intime de moments partagés. L’auteur convoque la mémoire de son père, ses années de militantisme, ses amours perdues, ses journées au fond d’une fosse à la recherche d’un égout, « matière humaine qui ruisselle de sueur sous l’infamie ». L’obsession ou la rédemption traverse l’épine dorsale de chaque récit. La mort n’est également jamais loin, réelle, symbolique, sublimée. La guerre, les écroulements, la tranchée forment -à force de détails- une galerie souterraine bouillonnante dans laquelle Erri De Luca puise sa vérité. Une quête grandie par l’humilité : l’auteur sait qu’au-dessus de ces cavités en ébullition il est bien difficile d’y installer un piédestal.
Par la pudeur et l’abondance qu’ils dégagent, En haut à gauche et Rez-de-chaussée sont deux livres troublants, ceux d’un homme qui « traîne une valise de décombres » et qui donne à l’écriture la charge d’en fouiller perpétuellement le contenu.
P. S.