Sophia de Mello Breyner Andresen a quelque chose d’une Greta Garbo. Mais à la différence de Garbo, Sophia, qui à sa façon est une « star » que tout le Portugal, dit la légende, appelle par son prénom, ne se cache pas derrière des lunettes noires. Dans les volutes de fumée de ses Leggera, des cigarettes très fines et longues, ses yeux semblent glisser sur le monde sans se fixer sur les détails trop prosaïques de la réalité. Elle serait sans doute plus curieuse face à l’océan dont ses yeux bleus gardent le souvenir de la couleur.
Dès le premier poème de son premier recueil, Poésie (1944), publié à compte d’auteur à 25 ans, Sophia de Mello Breyner possède son univers de mer et de lumière : « Parmi tous les lieux du monde/ J’aime de l’amour le plus fort et le plus profond/ Cette plage extasiée et nue,/ Où je me fonds à la mer, au vent et à la lune ». Des poèmes courts, parfois deux souvent quatre vers pour une poésie de l’extase solaire. L’anthologie publiée aujourd’hui permet de voir comment cette poésie se déploie de recueil en recueil en restant fidèle à cet univers et à cette juste économie de parole qui sait la valeur du silence, le « silence pur et concret des mots/ Par où se dressent les choses nommées ».
Son deuxième recueil, Jour de la mer (1947), affirme l’attraction et la nostalgie que fait naître en elle le monde grec : les dieux, Dionysos dont « la gloire ardente et sereine » illumine « la danse de l’être ». Poésie des origines, la poésie de Sophia de Mello Breyner « cherche l’ordre intact du monde », elle cherche à dire « la plage où brillait le premier matin de la création » et « l’ombre du bois où se sont levés la frayeur et le non-dit de la première nuit ». Elle cherche le divin dans le terrestre.
La poésie de Sophia de Mello Breyner est une poésie de part en part élémentaire. Même quand elle se fait méditation sur le temps et l’exil, cette poésie conserve -et peut-être la renforce-t-elle d’une certaine façon- sa relation privilégiée à la mer, à la vague, à la roche, au buccin, au vent, au soleil, à la lumière, au sable, à la terre, aux arbres. Même quand elle s’en éloignera pour tenter de rejoindre les humains dans les maisons qui les protègent au milieu des villes qui les cernent et les menacent, ce monde élémentaire restera présent. Comme un repère. Comme le repère.
Longtemps écriture de la solitude, la poésie de Sophia de Mello Breyner a trouvé la place de l’autre, la place des autres en devenant sous la pression de l’Histoire une poésie de résistance pour finir par les célébrer dans un poème de 1993 : « Mais comment sans les amis/ Sans le partage l’étreinte la communion/ Respirer l’odeur d’algue des marées/ Et cueillir l’étoile de mer dans ma main ». Au constat nostalgique du retrait des dieux répond la lente élaboration d’un humanisme, d’une éthique et esthétique proprement poétiques. L’homme devient la mesure de la poésie : « Qui cherche une relation juste avec la pierre, avec l’arbre, avec le...
Entretiens La joie d’exister
mars 1997 | Le Matricule des Anges n°19
| par
Christophe David
Dans l’après-Pessoa, la Portugaise Sophia de Mello Breyner a engagé sa poésie sur la voie du néo-classicisme, du côté de Valéry et de Ponge.
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