Le narrateur de ce beau livre d’artistes est un jeune garçon solitaire, dont les « parents n’avaient rien à se dire, mais ils ne trouvaient pas les mots pour le dire, seulement des cris. » S’il vit au nord de la banlieue parisienne, cela lui permet au moins de fréquenter l’Ourcq qui apporte à Paris les péniches venues parfois de Belgique ou des Pays-Bas. Le canal est son refuge, son « Paradis », le seul endroit de paix lorsqu’à l’intérieur de la maison le bruit est aussi fort qu’au bord des routes surchargées. Là, il s’emploie à rêvasser à d’étrangères destinations, lues sur les coques des bateaux, un brin d’herbe tendre coincé entre les dents. Là, au niveau où les écluses permettent aux péniches de franchir un niveau, il observe les enfants de ces bateliers qui aident à la manœuvre. Là, sa solitude pèse moins.
Un incident un jour apporte dans cet univers un peu de Jules Verne : une porte d’écluse ne parvient pas à s’ouvrir. Deux plongeurs sont envoyés pour la dégager d’une gazinière jetée au fond du canal. L’incident permet à notre jeune héros de rencontrer un vieux pêcheur, ancien batelier et grand connaisseur du canal. L’enfant se confiera à l’aïeul après que celui-ci lui ait présenté l’histoire de la famille des plongeurs, dont l’ancêtre fut lui-même scaphandrier. A quelques kilomètres de Paris, c’est un univers merveilleux autant que réel que découvre le garçon. Le vieux pêcheur offrira la possibilité à notre narrateur de faire son baptême de l’eau. Une péniche le prend à bord ; direction Paris. La cargaison qu’elle transporte est singulière : il s’agit de vieux livres rares et précieux qui vont rejoindre la Très Grande Bibliothèque. Milou, le patron de la péniche, ne se contente pas de donner un baptême de l’eau. Il va ouvrir une caisse de livre et laisser l’enfant découvrir la lecture d’ouvrages dont le voyage, la navigation et le canal de l’Ourcq sont les sujets.
Didier Daeninckx, imperceptiblement et dans un style d’une grande fluidité, conduit son personnage vers un peu plus de lumière. Si les indications réalistes ne manquent pas, des noms de ports fluviaux aux termes techniques, le réel toutefois offre la possibilité de plus d’une métaphore. On comprend notamment que les écluses sans lesquelles aucune navigation n’est possible trouvent dans le vieux pêcheur leur personnalisation. C’est grâce à lui que l’enfant sera baptisé, qu’il franchira une nouvelle étape, qu’il accédera à plus de connaissance et plus de paix.
La parabole est un exercice périlleux. Les ficelles y sont souvent grosses, la narration forcée. Rien de tout ça ici. On reconnaît le savoir-faire de Didier Daeninckx qui parvient sans contorsion à donner du sens au réel.
L’ouvrage, publié par cet éditeur singulier, échappe également à tous les artifices parfois tapageurs de l’édition. Le noir et blanc des linogravures de Christine Wattecamps évoque à la fois la solitude du personnage et le passé de la narration. Le papier, un épais Vélin d’Arches doux au toucher, et le soin apporté à l’impression au plomb font du livre un objet pour lequel il est facile d’éprouver déjà de l’affection. Sa lecture n’en est que plus sensible.
La Péniche aux enfants
Didier Daeninckx
Grandir
(1350, chemin de la Passerelle
84 100 Orange)
n. p., 150 FF
Jeunesse Jules Verne sur Ourcq
mai 1999 | Le Matricule des Anges n°26
| par
Thierry Guichard
Dans une belle nouvelle, Didier Daeninckx évoque la mémoire, la connaissance et l’émancipation par les livres d’un enfant solitaire. A fleur d’eau.
Un livre
Jules Verne sur Ourcq
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°26
, mai 1999.