Yves Buin est un écrivain éclectique. Ce pédopsychiatre, auteur d’un texte sur Thelonious Monk (P.O.L) et plus récemment d’un essai intitulé Psychiatries -L’utopie, le déclin (éditions Érès), propose avec Kapitza son premier polar. L’histoire est celle d’une enquête sur les trafics du nucléaire. Le héros d’Yves Buin ne pouvait être qu’agent secret : « Et puis Ruby Sandeman, à part fureter dans les sociologies singulières, de quoi il était capable ? Est-ce que c’est normal, un qui veut être un agent secret parce qu’il a vu tout gosse un film fameux sur Macao ? » Voilà comment cet auteur, mêlant les tournures orales et une écriture haletante, se fond dans le moule du genre polar. Son espion spécialisé dans les agitations gauchistes tombe un jour sur la filière du nucléaire, baptisée Kapitza, en provenance de l’ex-URSS. Sandeman évolue en eaux troubles, il croise les mafias et représentants des pays en voie de développement qui aspirent à plus d’équilibre avec l’Occident. Cet univers-là est fondamentalement celui de Sandeman. « Si t’es père de famille, si t’es un glandeur pacifique, si t’as une touche d’anonyme qui va son chemin (…) alors te mêle pas de tout ça, du parallèle. Oublie qu’ça existe, que ça peut exister. Sandeman, lui, il pouvait pas renier. Trente ans qu’il partageait l’emploi du temps des dédoublés, des clandestins publics, de ceux qu’ont pas la réputation, des crabes ».
Outre les silhouettes à la fois acides et tendres d’anciens révoltés des années 70, Yves Buin réussit l’étonnant portrait d’un espion presque malgré lui, un homme mélancolique pris par la tentation de Maderna, une île loin des paroles et du marécage. « Ces jours-là furent indéfinissables, incolores et pleins, soumis à la berceuse et au pendule intérieurs (…) Les journées étaient d’une léthargie morose et légère. (…) Il arrivait ainsi qu’il fût dépouillé comme un regard blanc ». Une île sur laquelle cet homme de sable est en quête d’une impossible dilution mystique.
Kapitza
Yves Buin
Rivages / Noir
353 pages, 63 FF
Poches L’espion mélancolique
août 1999 | Le Matricule des Anges n°27
| par
Christophe Dabitch
Un livre
L’espion mélancolique
Par
Christophe Dabitch
Le Matricule des Anges n°27
, août 1999.