Le Dernier Chapitre de mon roman est un texte rare de Charles Nodier (1780-1844), un roman de jeunesse si l’on ose s’exprimer ainsi s’agissant d’un talent aussi précoce que celui de l’auteur de Jean Sbogar, dont l’argument tient en quelques mots : le narrateur se rend de Strasbourg à Paris pour s’y marier avec une riche héritière, mais il rencontre en chemin diverses bonnes fortunes sous la forme -ou plutôt les formes- de cinq femmes plus ou moins farouches. Il s’avère en définitive que celles-ci sont en réalité une seule et même personne sous différentes apparences : sa future épouse.
Récit d’inspiration libertine d’une surprenante modernité et d’une grande liberté de ton, qui s’avère également prétexte à parodier divers genres littéraires -romans dits allemands (Werther) ou anglais, mais aussi Tristam Shandy de Sterne ou Jacques le Fataliste de Diderot. Mention spéciale pour cette trouvaille d’un jeune homme à ce point épris du personnage de Gœthe qu’il s’efforce d’éprouver quelque amour non payé de retour pour différentes femmes, qui par malchance (de son point de vue) finissent toujours par répondre à ses avances, ce qui le jette certes dans un désespoir croissant, mais non point celui qu’il brûle d’éprouver.
Le travail de l’éditeur de ce livre, Jacques Dürrenmatt, est en tous points admirable : les variations orthographiques entre les éditions de référence de 1803 et 1832 se révèlent aussi troublantes que les émois successifs du personnage principal, et les déplacements de virgule au fil des années aussi haletants que ceux du narrateur d’alcôve en alcôve. Page 125, c’est un redoutable officier des hussards qui surgit de la nuit et menace d’embrocher notre héros. Page 67, c’est une impressionnante syllepse (accord selon le sens et non selon la règle) qui se dresse soudain devant le lecteur.
Charles Nodier révèle en route qu’au début du XIXe siècle la librairie était « sujette aux vicissitudes de la mode », ce que l’on a peine à croire de nos jours, et que certains auteurs « ne se faisaient pas scrupule d’emprunter des descriptions parfois entières à d’autres ouvrages », ce qui paraît plus incroyable encore. Voilà « un livre de plaisir ».
Le Dernier Chapitre de mon roman
Charles Nodier
Éditions de la Licorne
99, av. du recteur Pineau, 86022 Poitiers Cedex
148 pages, 60 FF
Histoire littéraire Héroique parodie
octobre 1999 | Le Matricule des Anges n°28
| par
Eric Naulleau
Un livre
Héroique parodie
Par
Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°28
, octobre 1999.