Barnabé qu’on ne croit jamais
Une petite fille sage comme un orage
Garçonnet rêveur et inventif, Barnabé est le roi de la forêt : il a installé une cabane sur le dos de son ami Bobo le crocodile pour mieux naviguer le long de la grande rivière verte au gré des fantaisies de son imagination. Sur la route de Boukato, allant rendre visite à son oncle et sa tante, il rencontre sous les palétuviers de drôles de léopards tricoteurs, des singes lisant le Financial Times…
Le garçon a beaucoup de choses étonnantes à raconter une fois arrivé au village. Mais comme d’habitude les adultes ne le croient pas : « Prends garde Barnabé au Grand Buffle noir dévoreur de menteurs » ! Ses larmes de désespoir vite séchées, notre curieux a tôt fait de repartir découvrir le monde avec des yeux de poète. Le plus averti n’étant pas celui qu’on croit.
On retrouve dans le voyage onirique de Barnabé, préalablement publié à La Farandole, le raffinement du graphisme de Jacqueline Duhême. Il y a beaucoup à regarder dans ce débordement animal et végétal où la palette acidulée de l’illustratrice mêle aquarelles de style naïf et formulettes rythmées comme un conte africain. La finesse des illustrations aurait toutefois mérité un format plus ample.
Le poids des rêves et les culpabilités de l’enfance sont également mis en scène dans un ouvrage moins conventionnel. Une petite fille bien loin d’être sage nous entraîne dans son jardin secret où elle se déchaîne « comme un orage ». Cet avatar d’Alice à l’innocent sourire cache en effet un univers sombre et angoissé, monde vivant et foisonnant peuplé de renards et de loups. Sur le ton de la confidence, la fillette nous dévoile « l’inquiétante étrangeté » de ses pensées, ignorées même de ses parents. Les illustrations aux couleurs flamboyantes révèlent la violence des forces cachées, symbolisées par une animalité malveillante que l’enfant n’arrive pas à maîtriser. Ce bouleversement intérieur se traduit par le visage grimaçant de la fillette à l’esthétique surréaliste empruntée aux personnages de Nicole Claveloux.
Plus que le texte, c’est effectivement la mise en image de Loren Batt qui nous conduit à travers les peurs obscures propres à cet âge : toute la richesse psychologique des sentiments passe dans cette peinture étrange et fascinante à la fois surnaturelle et très familière. Les frustrations et les haines de la fillette s’expriment librement dans son « grenier » où il lui arrive de temps à autre de « minutieusement passer ses parents au fer à repasser pour qu’ils prennent moins de place ». Ces rêves de reconnaissance, où l’enfant tout puissant parvient à canaliser sa propre violence, évoquent l’album Max et les Maximonstres de Maurice Sendak.
En plongeant au fil des pages plus profondément dans la détresse de la fillette, on découvre une petite boîte rouge et les planches d’un théâtre sur lesquels loin des regards, en quête d’identité, elle se demande qui elle est.
Gardant néanmoins pour elle-même colères et révoltes elle retrouve finalement devant ses parents les apparences sages du départ.
L’ouvrage d’une grande simplicité d’expression permet aux enfants d’identifier des sentiments complexes et de reconnaître des émotions enfouies. La force des représentations de l’inconscient enfantin sera un moyen de désamorcer les angoisses des jeunes lecteurs.
Alain Serres
Barnabé qu’on ne croit jamais
Illustrations Jacqueline Duhême
Une petite fille sage comme
un orage
Illustrations Loren Batt
Rue du Monde
36 et 32 pages, 75 FF et 85 FF