Le peintre Pierre Soulages, on le sait, n’utilise guère que le noir pour peindre ses toiles. Au pinceau, au couteau ou à la spatule, le noir qui recouvre dans ses plus récentes œuvres la totalité de la toile lie la forme à sa matière même et fait sourdre une lumière qui tire sa force de sa densité. L’écrivain Jacques Laurans est un amoureux des cinémas d’avant, où la vie surgissait à la fois sur la toile et dans la salle. Le peintre vit à Sète, l’écrivain à Montpellier ; il n’était donc pas incongru qu’ils se rencontrent. C’est bien depuis cette rencontre et cette amitié que Jacques Laurans propose trois courts textes autour de Pierre Soulages. Excepté le dernier texte, consacré aux vitraux de l’abbatiale Sainte Foy de Conques, l’ouvrage prend donc résolument la voie du témoignage. Il s’agit, pour Jacques Laurans, de restituer la découverte que fut d’abord pour lui de voir (de regarder, de contempler) les toiles de Soulages chez lui, sur le Mont Saint-Clair. Et de ce rendre compte qu’« il n’existe pas de peinture abstraite » et que les tableaux de Soulages « se mêlent aussi à l’atmosphère des astres (…) et participent à la même énigme de ce qui s’offre d’abord comme naissance, fondation, signes du monde, alternance du clair et de l’obscur ».
C’est là, le principal intérêt de ce court livre que de montrer la valeur cosmogonique et universelle de cette peinture considérée à tort comme paradoxale. On regrette d’autant plus que l’écrivain ne soit pas allé plus loin, n’ait pas pris à son compte ce travail de la matière pour tenter sur le papier de célébrer les épousailles du pictural et de l’écrit. Le livre se contente des qualités apéritives qu’il recèle, comme une invitation à poursuivre hors les pages, le festin de la lumière. À moins qu’il ne soit que le seuil d’un ouvrage plus vaste à venir, plus ambitieux aussi, où ce ne sera plus seulement la vision du tableau qui sera circonscrite, mais aussi les émotions profondes qu’il fait naître.
Pierre Soulages
Trois Lumières
Jacques Laurans
Farrago
33 pages, 50 FF
Arts et lettres Noir, c’est lumière
janvier 2000 | Le Matricule des Anges n°29
| par
Thierry Guichard
Un livre
Noir, c’est lumière
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°29
, janvier 2000.