Reprenons : le duc de Saint-Simon écrit ses Mémoires durant la première moitié du XVIIIe siècle. Ses ambitions politiques sont déçues, il dépeint Versailles et la cour de Louis XIV, son témoignage est cruel, son écriture virtuose.
Quant à Pierre Lafargue, c’est un peu pareil : il dépeint Versailles et la cour de Louis XIV, son témoignage est cruel, son écriture virtuose.
Mais c’est notre contemporain, il n’a donc pas connu la cour ; il en réinvente quelques figures, dont il illustre son Tombeau de Saint-Simon.
Dans ce tombeau, il s’agit non pas de parodier ni même de pasticher (Proust l’a déjà fait), mais de parler comme l’illustre devancier.
Qu’on en juge : « Elle voulait passer pour extrêmement pieuse et possédait vraiment les deux Testaments, mais dans une confusion telle qu’il semblait qu’elle prêchait l’Olympe. Assidue à toutes les messes, elle les trouvait pourtant fort longues et ne manquait jamais de s’endormir avant la fin, ce qui la priva toujours de communion, de même à son dernier jour où, recevant les derniers sacrements et bientôt l’hostie, elle s’ennuya, s’endormit, serra les dents et mourut ».
Tout y est : le lexique, la syntaxe, l’art du trait final. Et au fil des pointes décochées, comme en une somme étourdissante, c’est tout le cortège du Grand Siècle qui prend place, drôlerie et tragique mêlés : caractères en tous genres, intrigues et stupeurs des courtisans, automates fiévreux, conversions artificieuses, ravages du désir, élévations honteuses et titres empruntés, ambitions déçues, correspondances dévoilées, etc.
Derrière cette comédie des apparences se donne bien sûr à lire la vanité de l’espèce : « on ne grandit guère que sur des bassesses » remarque notre moraliste lapidaire. Ou pour dénoncer encore le théâtre du monde en empruntant les accents du Sublime : « tout met tout en poussière, tout se ruine, tout se fait exemple, et nous tenons vraiment à agiter notre poudre sur un fauteuil, un tabouret ou un banc, et nous éternuons ».
La forme, il faut bien l’avouer, éblouit souvent. La phrase de Lafargue s’accorde à merveille, dans ses sautillements, à la démarche des originaux portraiturés. N’étaient la date et la couverture, on s’y méprendrait ! Le ventriloque accomplit là une véritable performance, et c’est bien ce qui pose problème. Saint-Simon peut certes « parler » encore, et nous « approcher » intrigués, mais on saisit mal ce dont il a à témoigner, hormis ses prouesses de plume -regardez combien je possède mon texte, comment j’en reproduis savamment les contours et les aspérités…
Quel sens prêter à cet hommage qui n’en est pas un, à ce curieux petit objet fragmenté, enragé d’expressions désuètes ?
On peut rester pantois devant de tels exercices de style, il reste qu’il faut une bonne dose de cuistrerie ou de fétichisme -ah ! quel charme il y a à écrire « pource que » en lieu et place de nos vulgaires conjonctions !- pour leur prêter une attention suivie.
Tombeau de Saint-Simon
Pierre Lafargue
Verticales
96 pages, 72 FF
Domaine français Vanité du ventriloque
juillet 2000 | Le Matricule des Anges n°31
| par
Gilles Magniont
"Approche. Saint-Simon parle. C’est quelque chose" annonce le virtuose Pierre Lafargue en quatrième de couverture. Il ne manque pas d’air.
Un livre
Vanité du ventriloque
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°31
, juillet 2000.