Indissociable de son écriture, la pensée de Michel Surya se nourrit de toute une littérature de la cruauté, Depuis quinze ans, l’écrivain-philosophe bâtit une entreprise de démolition. Réédition de ses deux premiers récits pornographiques et publication d’un essai. Les cheveux longs font un écran face à la salle lorsque l’écrivain penche son visage vers la feuille qu’il lit. La voix, portée comme à bout de bras par les micros, chante presque au rythme d’une diction impeccable. Le silence de l’auditoire accentue si possible la tension qui en devient presque physique. Michel Surya lit Humanimalité, son plus récent texte publié, Michel Surya lit sa préface à un livre de Sade, Michel Surya lit un texte sur Bataille. Nous sommes près de Tours, à Orléans, à Montreuil aussi bien : ceux qui ont assisté à ces lectures, se souviennent des circonvolutions d’une pensée qui fore au point qu’on en reste, auditeur, abasourdi. Rien de spectaculaire pourtant, au contraire : tout tient dans la langue et dans ce qu’elle révèle.Quand on ne le connaît pas, Michel Surya effrraie : la revue Lignes qu’il a créée avec Daniel Dobbels et Francis Marmande affiche une radicalité qui fait que de nombreuses autres publications (revues d’idées ou presse) la craignent. Sa biographie de Georges Bataille, volumineuse, fait partie de ces livres qu’on n’achève jamais de relire et qui donnent à ses lecteurs d’inépuisables pistes de réflexion. Ses récits, sans ponctuation, creusent comme une lame de couteau dans la chair même de nos angoisses et mettent à nue notre nature humaine. Devenu depuis peu éditeur pour Léo Scheer, il est un des rares à pouvoir consacrer à Pierre Guyotat un essai aussi éclairant pour la littérature qu’excitant pour l’esprit. Sa pensée, enfin, chemine là où, habituellement, la pensée ne va pas.L’homme, contre toute attente, est charmant, fraternel, attentif. Et le petit pavillon de la banlieue Est de Paris où il nous accueille affiche un air tranquille que renforcent les deux chattes qui se prélassent sous le soleil. S’il se prête au jeu des questions, de sa biographie, le biographe de Bataille ne veut rien dire. Rien de plus que ce que ses récits laissent entendre, que ses récits peut-être recouvrent. Né en 1954 (cela est dans Olivet) il n’y a pas jusqu’au nom de sa ville natale dans la Sarthe qu’il ne veuille taire. Non, par coquetterie, mais parce ce que s’y rattache trop de souffrance.
« Qu’est-ce qui aujourd’hui peut encore être scandaleux dans la littérature ? »
L’enfance, et Olivet le dit jusqu’à l’insupportable, se passe dans une solitude et un silence asphyxiants. Dans l’horreur à commencer par soi-même. Nié par le père qui ne nomme jamais ce fils (Olivet le dit : ), cinquième enfant d’une mère (Olivet), frère de deux autres fils décédés…On pourrait émettre des hypothèses et dire par exemple que c’est de ce silence-là, probablement aussi, qu’est née la littérature dans la vie de Michel Surya. Que c’est de ce sentiment violent...
Dossier
Michel Surya
Surya, la fabrique du désenchantement
septembre 2001 | Le Matricule des Anges n°36
| par
Thierry Guichard
Un auteur
Un dossier