Si la dimension fantasmatique habite l’univers décalé d’Olivier Saison depuis son premier texte (Présents et autres orifices, Le Serpent à plumes, 1996), elle se radicalise ici et envahit tout l’espace narratif. Ainsi, la première nouvelle, Une étude très sérieuse, s’attache-t-elle à décrire l’expérience d’un professeur d’université chargé d’établir un rapport détaillé sur une année passée avec quatre jeunes femmes dans un appartement. Le scientifique devra consigner et analyser chacun de ses ébats, pour la science.
Comme dans La Résolution de Reyner (Le Serpent à plumes, 1999), les icônes qui traversent le monde de Saison constituent le moteur du récit. Les femmes choisies par le professeur, désignées par leur prénom suivi d’un numéro pour plus d’objectivité, semblent venir d’un film américain des années 40 ou 50. Fatales, elles s’apparentent à des fantômes. À ce titre, elles sont pornographiques, car si la pornographie soumet le spectateur à une incarnation radicale, elle instrumentalise aussi les corps et les éloigne irrémédiablement du voyeur. Dans Une étude très sérieuse, les femmes n’ont d’ailleurs accès qu’à des mouvements cinématographiques, parfaitement codés : « Clothilde soupira et se mit à scruter le plafond, entortillant machinalement ses boucles autour de son index. » L’écrivain, né en 1972, possède également une culture audiovisuelle. Le professeur aura ainsi le bonheur de croiser la silhouette de Wonder Woman : « ce soir-là, pour mon anniversaire, ces cheveux s’étaient glissés sous un diadème orné d’une étoile rouge, et copieusement enduits de laque comme ses pommettes de fard, sa poitrine mate revêtue d’un corset de satin rouge à l’échancrure dorée, sa taille, d’une grossière culotte bleue parsemée d’étoiles, à laquelle le minuscule lasso pendait. »
Grâce à un rythme efficace où les chapitres courts se chevauchent presque, Saison montre une fois de plus une belle facilité à construire des histoires. Il sait y injecter ce qu’il faut de réalité, avec une fantaisie inquiète qui rappelle parfois celle de Vian ou le Hardellet du Seuil du jardin. On est pris par une efficacité narrative qu’on retrouve plus fréquemment aujourd’hui chez les écrivains américains que chez les romanciers français. L’histoire se trouve au centre du projet littéraire, non la langue.
Mais le format de la longue nouvelle convient peut-être moins à Olivier Saison que le roman, comme si ses personnages manquaient parfois d’espace. C’est manifeste dans le second texte du diptyque, Les Actrices de Thomas Ypres, où l’auteur distille un climat sombre et perd son humour. Une actrice de porno y amorce un tournant dans sa carrière, cherchant à vivre autrement sa profession. Elle part à la recherche d’un réalisateur de films pudiques et finit par rencontrer un autre homme au Mexique. Saison en profite pour analyser précisément la nature du phénomène pornographique, se faisant plus démonstratif, trop peut-être : « dans ce domaine, à l’inverse du film policier, le suspense naît avant le film proprement dit, ce n’est pas le metteur en scène ni le script qui campent la situation initiale ou l’horizon d’attente, mais la seule psyché du spectateur. »
Rapport sexuel
Olivier Saison
Le Serpent à plumes
176 pages, 14 €
Domaine français La désincarnation
septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40
| par
Benoît Broyart
Sous le titre explicite de Rapport sexuel, Olivier Saison livre un diptyque sur la pornographie. Résultat, quelques pages originales sur un thème surmédiatisé.
Un livre
La désincarnation
Par
Benoît Broyart
Le Matricule des Anges n°40
, septembre 2002.