Deux pièces et plusieurs Petites pièces à pupitre de Jean-Yves Picq viennent de paraître simultanément. Les éditions Lansman nous annoncent un recueil de trois nouvelles comédies sous le titre Les Transparents pour bientôt. Voici de très bonnes nouvelles. Peu de dramaturges cherchent en effet comme Jean-Yves Picq à essayer de décrypter notre monde comme il ne va pas, dans des textes le plus souvent burlesques, car pour lui : « rire de notre époque n’est qu’une politesse à l’égard du tragique qu’elle recèle ».
La langue est au cœur de son écriture. Elle est toute en sonorité, sensualité et rythmiques. Elle est à la fois ancrée dans l’oralité, concrète et imagée avec en même temps plein de mots inventés. Une langue épique qui cherche à tout prix à nommer, face à un monde qui n’arrive plus à se nommer. Un grand écart douloureux, très souvent exploré dans ces pièces.
Ainsi pour Les Effrayants, l’un des enjeux du texte se trouve dans la recherche de la langue. Dans une préface, Jean-Yves Picq s’interroge : « Allitérations, rimes, assonances, rythmes sont-ils des outils encore utilisables aujourd’hui par un dramaturge, alors qu’ils ont presque entièrement disparu de nos scènes ? Cette disparition est bien étrange car ces outils, considérés comme archaïques, sont pourtant utilisés régulièrement par la publicité et la galaxie du Show-biz… Il était tentant d’aller y voir de plus près, avec, cependant, cette précaution : c’est l’oralité qui devait être prioritaire si on voulait échapper à la référence du vers classique pur, sublime de rigueur et de beauté, mais, justement, peut-être trop pur et trop ordonné pour livrer aux oreilles d’aujourd’hui le grand désordre du monde. »
Lorsque les personnages approchent du périmètre où se rejoue l’action, ils se mettent à « parler alexandrins », ce qui en panique plus d’un. Les Effrayants retrace l’installation de Faye et Rueben, un couple âgé d’utopistes naïfs, qui achète une parcelle de terrain pour y construire une maison de prière pour tous. Le terrain vendu se trouve être celui où tous les « honnêtes » citoyens viennent y enterrer leurs petits meurtres quotidiens. Une métaphore pour l’écrivain de tous les charniers que notre humanité fabrique. Cette installation va déclencher la violence. Il faudra trouver des coupables, des boucs émissaires, des pas-comme-tout-le-monde de préférence. Pourquoi refusons-nous de voir qui sont vraiment ces Effrayants, voilà la question que semble nous poser l’écrivain.
Sylvestre est un monologue. À l’occasion du changement de millénaire, un vieil homme des bois, Sylvestre, est invité à prendre la parole dans une fête communale. Mais Sylvestre et sa colère veulent faire parler les invisibles, ceux qui sont morts, « abandonnés sur la Table du Monde comme les reliefs humains d’un banquet cannibale offert aux ogres ». Ces ogres sont les grands groupes industriels dont la seule logique est le profit et le seul but de nous rendre le plus possible consommateurs. Un des thèmes majeurs abordés par Jean-Yves Picq dès 1993 avec son Conte de la neige noire, c’est la dénonciation de la nouvelle dictature du tout-économique. Sylvestre va chercher comment, symboliquement au moins, s’opposer à la vision du monde mortifère que proposent les tenants de l’économie et ne pas oublier certains mots, comme par exemple légalité.
Les Petites pièces à pupitre font suite aux Petites pièces à géométrie variable (également chez Color Gang). Picq propose aux acteurs qu’ils soient amateurs ou professionnels, un rapport « encore plus direct et dépouillé avec le public ». Ses pièces peuvent se dire à une ou plusieurs voix. Le découpage du texte est libre suivant chaque distribution. Ces pièces sont directement en prise avec notre réalité, elles parlent ainsi de l’après-11 septembre ou bien de la distorsion entre la culture et fait culturel. Jean-Yves Picq boucle avec cette publication une forme de travail choral particulièrement abouti. Suffit juste maintenant d’être patient et d’attendre de lire Les Transparents…
Théâtre Le monde en pièces
janvier 2003 | Le Matricule des Anges n°42
| par
Laurence Cazaux
Avec une langue d’une belle oralité épique, Jean-Yves Picq revient nous livrer le grand désordre du monde.
Un livre
Le monde en pièces
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°42
, janvier 2003.