Dans la rue Porte Basse à Bordeaux, on trouve au moins deux spécialistes de la chaussure et une cordonnerie. Face à la cordonnerie une vitrine présente les nouveautés de L’Escampette. À côté, le livre est aussi mis à l’honneur. C’est là que siège le Carrefour des littératures dirigé par Sylviane Sambor. Cette infatigable militante de la littérature organise depuis 1987 un important festival. Elle est la compagne de Claude Rouquet. Il est plus facile d’entrer dans les locaux de l’association que dans ceux de la S.A.R.L. : l’éditeur retire la poignée de la porte de cette ancienne graineterie. Son bureau semble avoir arrêté le temps, on y trouve une vieille machine à écrire genre Remington et un Macintosh dont on se demande s’il n’en est pas l’ancêtre.
Le verbe haut, cet ancien demi de mêlée orléanais (où il est né en 1946) aime déstabiliser son interlocuteur en jouant de la provocation ; par pudeur peut-être. S’il rechigne à évoquer sa vie, il se prête toutefois à l’exercice : « Je suis le fils d’un grand diamantaire d’Anvers. Ma mère a travaillé 72 ans auprès de Mère Thérèsa ». On ne note rien, on jette un œil sur la devanture de la cordonnerie en face et on lance : « Comment passe-t-on de la chaussure à l’édition ? »
La passion de la lecture a pris le jeune Claude Rouquet vers quinze ans. À Olivet, la maison de presse vendait les premiers livres de poche : « je les achetais sans savoir ce que j’achetais et j’ai été confronté à de grands auteurs. » L’adolescent découvre notamment Le Château des brouillards de Dorgelès : « j’étais bouleversé. C’est la première émotion en face de quelque chose d’indécelable. » Puis ce seront Céline, Bernanos, Rimbaud, Lautréamont ou Éluard. Le livre prend une place considérable. Il sèche les cours, obtient un brevet d’électricien, fait des petits boulots et monte sur les planches, dans des cabarets, pour lire des poèmes. « Aujourd’hui encore, je lis souvent des poèmes, lors de rencontres. » Tout ça ne le destinait pas vraiment à vendre des chaussures. Pourtant, embauché en 1972 par un G.I.E, il devient directeur commercial pour plusieurs importateurs de chaussures. Cette vie d’asphalte (cent vingt mille kilomètres par an) et d’hôtels va durer vingt ans. En 1992, le licenciement économique est l’occasion de « passer aux choses sérieuses, c’est-à-dire aux rêves d’adolescent. »
Sylviane l’aide à effectuer ce virage serré en lui confiant l’édition d’un premier livre : Saveurs de Porto. « Je ne suis intervenu que comme prestataire de service. » Idem avec Montaigne 1533-1592 que lui commande le CRL Aquitaine. Le livre sort en septembre 1992. Le Portugal s’inscrit dès la naissance dans le destin de L’Escampette. En 1989 lors du Carrefour des littératures. Claude Rouquet assiste à une lecture bilingue d’Al Berto et de Nuno Júdice, deux grands poètes contemporains : « J’ai été happé par cette langue et j’ai reconnu cette poésie comme étant faite pour moi. » En janvier 93 ce sera avec le Portugal que...
Éditeur L’Escampette sans poudre aux yeux
mars 2003 | Le Matricule des Anges n°43
| par
Thierry Guichard
L’éditeur bordelais fête une décennie au service d’une poésie lyrique et de proses délicates. Une démarche pleine d’élégance, malgré les embûches de la route.
Un éditeur